Pour lutter contre la pauvreté, il faut combattre les inégalités
Si l’on veut agir contre la pauvreté, il faut prendre en compte les inégalités, dans leur ensemble et leur complexité. L’action contre la pauvreté s’inscrit au cœur de celle menée contre les inégalités. Par Pierre Volovitch, membre du conseil scientifique de l’Observatoire des inégalités.
Publié le 18 décembre 2013
https://inegalites.fr/Pour-lutter-contre-la-pauvrete-il-faut-combattre-les-inegalites - Reproduction interditeOn est pauvre par rapport aux autres. Parce qu’elle est « relative » la pauvreté ne peut se comprendre qu’en la mettant en perspective avec l’ensemble de la société. Monétairement, on est pauvre parce que le revenu dont on dispose est inférieur à une fraction de revenu disponible des autres membres de la même société. Suivant les pays, suivant les époques les statisticiens ont fixé le « seuil » de pauvreté à 50 % ou à 60 % du revenu médian. En 2011, ce niveau de vie médian était de 1 630 euros, les seuils de pauvreté respectivement de 814 et 977 euros. C’est l’évolution des autres revenus qui va faire que je vais être, ou non, pauvre. Au passage, il faut rappeler un paradoxe intéressant : si la situation d’une grande part de la société se dégrade (approfondissement de la crise, aggravation du chômage…), les revenus vont globalement diminuer. Si le revenu médian diminue, le seuil baisse et, à niveau de vie égal, une partie de ceux qui étaient pauvres auparavant ne le sont plus. C’est d’ailleurs le cas actuellement. L’utilisation du seul « seuil » monétaire peut conduire à considérer, dans une société qui s’appauvrit, que le nombre de pauvres diminue…
Mais la pauvreté n’est pas uniquement monétaire. La pauvreté est également « sociale ». Je suis pauvre parce que je ne peux atteindre certaines « normes » sociales. Or ces « normes » sont le plus souvent initiées dans les couches les plus favorisées, puis diffusées dans l’ensemble de la société. Je suis pauvre au regard de « normes » et de comportements que je subis. Et c’est bien le fait que je doive « subir » qui fait de moi un pauvre.
La société est sans « solution de continuité ». Il n’y a pas de « trou » ou de « fracture » dans le tissu social, pas d’espace vide qui séparerait clairement les pauvres des autres. Il existe un continuum. On passe petit-à-petit du riche au pauvre sans « marche » affirmée. La mortalité infantile s’aggrave quand on descend dans l’échelle sociale. Mais l’évolution est progressive. Il n’y a pas un niveau où, brusquement, elle décrocherait. Conséquence de cette continuité, les « seuils » conduisent à des « effets de seuil ». Dès que l’on choisit un « seuil » qui permettrait de caractériser un pauvre, on crée une population, celle qui se situe juste au- dessus du seuil. Celle qui ne peut accéder à telle mesure, mais pour qui ce refus relève de l’arbitraire. Car, sans être estampillée « pauvre », elle en est si proche…
Les « effets de seuil » ont des conséquences très pratiques pour les personnes. Pire, le fait que l’accès à un « droit » soit lié à la conformité à un chiffre qui n’a pas de sens pour les personnes, est sans doute l’une des causes du « non recours ». Vous aviez un droit. Vous l’avez perdu parce que l’on considère que vous avez « franchi un seuil », alors que, dans votre vie réelle il n’y a eu aucun changement sensible. Pour vous, la perte du droit est arbitraire. Comment bénéficier de ses droits, avoir la volonté de les demander, si ce qui fait qu’on y a droit ou pas ne peut pas être compris ?
Autre conséquence de cette continuité, la manipulation des seuils conduit à des transformations de la présentation de la réalité qui lui font perdre tout caractère … réaliste. Au seuil de 50 % du revenu médian on comptait (en 2011) 4,9 millions de pauvres, au seuil de 60 % on en comptait 8,8 millions. Laquelle de ces deux images, bien différentes, rend-elle compte de la réalité ?
Lutter contre les inégalités pour combattre la pauvreté
Si l’on veut agir contre la pauvreté, il faut prendre en compte les inégalités dans leur ensemble et leur complexité. L’action contre la pauvreté s’inscrit au cœur de celle menée contre les inégalités. Quelles politiques publiques mener pour lutter contre la pauvreté ?
Des politiques « universelles » dans lesquelles les plus pauvres, en accédant aux droits de tous, ont la possibilité de sortir de la pauvreté (éducation nationale, assurance maladie) ? Mais ces politiques « universelles », parce qu’elles ignorent, ou négligent, certaines caractéristiques des populations pauvres, passent à coté de l’égalité : inégalités des parcours scolaires, inégalités d’accès aux soins même quand ceux-ci sont gratuits…
Des politiques « ciblées », dédiées aux plus pauvres ? Mais avec les risques de « stigmatisation » (le RMI a créé la population des RMIstes) et donc de ségrégation (« refus de soins » pour les bénéficiaires de la CMU). Avec le risque aussi de diminution de « l’acceptation politique » dès lors que pour certaines catégories va apparaître l’idée que l’on me demande de payer « pour les autres »…. Il n’y a pas de solution simple à ces questions. Mais les réponses à apporter doivent à la fois, prendre en compte les effets concrets des politiques publiques pour les plus pauvres et les effets de ces politiques sur les inégalités, sur l’organisation globale de la société.
Quelles politiques de « prévention » contre la pauvreté ? Dans certains cas, malheureusement de plus en plus nombreux, on peut « naître » dans la pauvreté. Mais dans d’autres cas on « tombe » dans la pauvreté. Comment faire pour réduire le nombre de ceux qui y « tombent » ? Comment faire pour aider ceux qui y sont nés à « s’en sortir » ? Ici sont en jeu des politiques d’éducation, de formation professionnelle, d’emploi, de logement. Des politiques qui ne peuvent limiter leurs objectifs à réduire les conséquences de la pauvreté, mais visent à prévenir la chute sociale. Une politique du logement (construction, prix, distribution des logements sociaux…), une politique de l’emploi (formation initiale et continue, action sur la précarité, coût du travail…) ne peuvent se centrer sur la pauvreté, mais doivent intégrer une connaissance et une prise en compte des inégalités telles qu’elles sont, avec l’objectif de les diminuer.
Dans tous les cas, il faut actionner différents leviers de façon simultanée. Les causes de la pauvreté, comme celles des inégalités sont nombreuses et inter-agissent. Ainsi par exemple, les inégalités d’état de santé s’articulent avec des problèmes d’emploi, de logement, « d’isolement » social, de niveau de qualification, d’école. Ainsi par exemple on sait que les conditions de logement influencent les résultats scolaires des jeunes, et, partant, leur niveau de vie futur. Les causalités ne sont pas immédiates mais s’inscrivent dans un processus long. Pour comprendre la situation d’aujourd’hui, et tenter d’agir sur elle, il faut prendre en compte des événements antérieurs, un parcours. Un parcours au sein de formes diverses d’inégalités.
Pierre Volovitch
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