Analyse

Le recul de la mortalité des enfants dans le monde : de grandes inégalités entre pays

La mortalité des enfants a beaucoup baissé dans le monde. Elle reste pourtant encore élevée dans quelques régions, notamment en Afrique subsaharienne. Quelles en sont les raisons alors que les moyens de lutte sont connus et peu chers ? Une analyse de Gilles Pison, directeur d’études à l’Ined, extrait de Population & Sociétés, janvier 2010.

Publié le 16 avril 2010

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Modes de vie Âges Santé

D’après les Nations unies, 9,3 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année dans le monde, dont 6,2 millions avant un an [1]. C’est du moins ce à quoi l’on peut s’attendre pour 2010 d’après les tendances observées ces dernières années. Si on rapporte ces décès au nombre de naissances (137 millions), un nouveau-né sur vingt-deux devrait mourir cette année avant son premier anniversaire, et parmi ceux qui le fêteront, un sur quarante-trois mourrait dans les quatre années suivantes. Au total, ce sont près de 7 % des nouveau-nés de 2010 qui décèderont avant d’atteindre leur cinquième anniversaire.

Ces chiffres suscitent l’indignation dans la mesure où la plupart de ces décès sont dus aux mauvaises conditions de la grossesse et de l’accouchement ou à des maladies infectieuses qu’on sait traiter ou prévenir. Cette situation résulte en réalité d’un immense progrès. Dans les années 1950, plus de 20 % des enfants mouraient avant 5 ans (16 % avant 1 an), et il y a un siècle probablement plus de 30 %. Dans la France du milieu du XVIIIe siècle, un enfant sur deux mourait avant 5 ans (30 % avant 1 an). Mourir dans l’enfance était alors si fréquent que presque toutes les familles étaient frappées. La mort d’un enfant faisait partie des risques inévitables de la vie que seule une fécondité élevée pouvait contrecarrer. Si on sait aujourd’hui prévenir la mortalité infantile, les moyens de le faire ne sont malheureusement pas encore à disposition de toutes les familles. Dans les pays les plus développés, la mortalité avant 5 ans n’est plus que de 0,5 %, voire inférieure. Elle est encore supérieure à 10 % dans beaucoup de pays du Sud, notamment en Afrique subsaharienne.

Un formidable recul historique

En France, au XVIIIe siècle, près de trois nouveau-nés sur dix mouraient dans leur première année. Leur mortalité recule autour de 1800 en partie grâce à la vaccination contre la variole : le risque pour un nouveau-né de mourir dans sa première année passe en deux décennies de près de 275 ‰ à près de 185 ‰ (figure 1). La mortalité infantile augmente au milieu du XIXe siècle en raison de l’industrialisation et de l’urbanisation qui dégradent les conditions de vie des enfants, notamment dans les villes. Elle décroît à nouveau à la fin du XIXe siècle grâce à la révolution pasteurienne ainsi qu’à la mise en place des premières politiques de protection de la petite enfance. Au XXe siècle, la mortalité infantile continue à diminuer jusqu’à atteindre un niveau extrêmement bas : 3,6 ‰ en 2009 [2]. Une évolution similaire s’est produite dans tous les pays du Nord : la mortalité infantile est en 2008 de 3,1 ‰ au Japon et 5,7 ‰ aux États-Unis [3].

Les mêmes tendances sont observées dans beaucoup de pays du Sud (figure 2). La baisse y a commencé plus tardivement qu’au Nord, mais une fois entamée, elle s’y est déroulée plus rapidement. En Chine, par exemple, il a fallu seulement 40 ans pour que la mortalité infantile passe de 200 ‰ à 30 ‰ (de 1950 à 1990), alors que la même diminution a pris plus de 150 ans en France (de 1800 à 1958). Si la baisse a été si rapide en Chine dans les années 1950 et 1960, c’est en partie grâce à la politique sanitaire de l’époque qui visait à rendre les services de santé de base accessibles à tous, y compris dans les campagnes les plus éloignées, politique symbolisée par les « médecins aux pieds nus ».

La Tunisie, où la mortalité infantile était également encore très élevée en 1950, a connu une baisse aussi rapide qu’en Chine, mais une décennie plus tard (figure 2). Alors que les progrès ont ralenti en Chine à la fin des années 1980 avec le passage à l’économie de marché et la croissance des inégalités, ils se sont poursuivis à un rythme soutenu en Tunisie. Au Brésil, la mortalité infantile avait déjà reculé pendant la première moitié du XXe siècle et a continué à baisser ensuite, quoiqu’un peu moins rapidement qu’en Chine et en Tunisie. Aujourd’hui, ces trois pays présentent une mortalité infantile proche de 20 ‰, soit le niveau que connaissait la France il y a 40 ans, à la fin des années 1960. Ils ont quasiment éliminé les décès dus aux maladies infectieuses infantiles. Pour progresser encore, il leur faut maintenant réduire la mortalité néonatale.

L’Afrique subsaharienne à la traîne

Certains pays n’en sont malheureusement pas encore à ce seuil de difficulté, étant restés à l’écart du mouvement de diminution générale de la mortalité infantile, ou n’ayant connu qu’une baisse limitée : par exemple l’Afghanistan, pays en guerre, ou la Birmanie, pays au système sanitaire particulièrement défaillant (figure 3). Mais ce sont surtout les pays d’Afrique subsaharienne qui sont à la traîne (figures 1, 2, 3, 4). L’Afrique dans son ensemble concentre la moitié des décès mondiaux d’enfants de moins de 5 ans, alors qu’elle n’abrite qu’un septième de la population et un quart des naissances mondiales (figure 5). La situation de l’Afrique du Nord s’est nettement améliorée comme on l’a vu avec la Tunisie, et c’est au sud du Sahara que les problèmes subsistent. Il y a plus de 50 ans, la mortalité infantile était proche de 200 ‰ en Asie et en Afrique subsaharienne. Elle a été divisée par cinq depuis en Asie, et seulement par deux en Afrique subsaharienne.

On pourrait penser que le creusement des écarts entre l’Afrique subsaharienne et le reste du monde tient à l’épidémie de sida, particulièrement importante dans cette dernière région ; certains enfants sont en effet infectés dès leur naissance ou peu après par le virus que leur mère, elle-même infectée, leur a transmis, et ils meurent jeunes s’ils ne sont pas soignés. Mais toute l’Afrique subsaharienne n’est pas également affectée par le sida ; pourtant les pays peu touchés montrent eux aussi un faible recul de la mortalité des enfants (voir encadré).

Les moyens de lutter contre la mortalité des enfants

Si la mortalité des enfants a diminué partout dans le monde, c’est à la fois en raison du développement socioéconomique et des progrès sanitaires. L’augmentation des rendements agricoles et l’amélioration des transports ont réduit les famines et la mortalité qui leur étaient liées dans la plupart des régions du monde. Les progrès de l’hygiène et la diffusion de l’instruction ont également joué un rôle clé. Même dans les régions les plus pauvres, l’instruction des femmes est toujours associée à une meilleure santé et à une diminution de la mortalité infantile, car elle leur permet de mieux tirer parti de l’offre de soins.

L’offre de soins s’est améliorée, tant pour traiter les maladies que pour les prévenir. Les vaccinations, premier outil de prévention, ont notamment beaucoup contribué au recul des infections, principales causes de décès des enfants. Une partie des enfants meurent pourtant encore de maladies infectieuses évitables par la vaccination. La rougeole, la coqueluche et le tétanos néonatal, pour lesquels il existe des vaccins, causent ensemble près d’un million de morts chaque année, soit un décès d’enfant de moins de 5 ans sur dix en 2004 [4]. Les enfants qui survivent à ces maladies en sortent souvent affaiblis, avec un risque accru de succomber ensuite à une autre maladie. La vaccination est pourtant l’un des actes médicaux les plus simples et les plus rentables en termes de prévention des maladies et de réduction de la mortalité.

Mieux tirer parti des vaccinations

Nul doute que le développement économique n’entraîne à terme le recul de la mortalité des enfants dans les régions où elle reste encore élevée. Mais il serait possible de la faire baisser sans attendre dans ces régions en faisant notamment bénéficier plus largement les enfants des vaccins disponibles.

Il faudrait d’abord prendre en compte leurs effets non spécifiques et tirer parti de ceux bénéfiques comme dans le cas du BCG ou du vaccin contre la rougeole tout en évitant ceux indésirables comme dans le cas du DTC ou du vaccin contre l’hépatite B (voir encadré). Il faudrait aussi augmenter la couverture vaccinale. Alors que les vaccins sont si utiles, il est étonnant que tous les enfants de la planète ne soient toujours pas vaccinés. Cela ne vient pas d’un coût élevé des vaccins. Au contraire, il est souvent faible et pris en charge par des organisations internationales dans le cas des pays les plus pauvres. La raison tient plutôt à un intérêt insuffisant pour la prévention et à une mauvaise organisation.

Certains vaccins comme celui contre la rougeole ou le BCG ont des effets bénéfiques non spécifiques : en stimulant l’immunité, ils diminuent aussi la mortalité due aux autres maladies – diarrhée, paludisme – contre lesquelles les enfants ne peuvent pas être
vaccinés pour l’instant faute de vaccins [5]. D’autres en revanche, comme le DTC (vaccin combiné contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche) ou le vaccin contre l’hépatite B, ont des effets négatifs non spécifiques, notamment chez les filles [6], [7]. Ils sont efficaces au sens où ils empêchent bien les enfants vaccinés d’attraper ces maladies. Mais dans les régions où la mortalité est encore élevée et où les maladies qu’ils préviennent (coqueluche, tétanos, hépatite B) ne causent que peu de décès chez les enfants, ils augmentent la mortalité des filles pour des raisons encore inconnues sans doute liées là aussi au système immunitaire.

Gilles Pison, directeur d’études à l’Institut national d’études démographiques (Ined).

Le cas du Sénégal

Au Sénégal, près de quatre nouveau-nés sur dix mouraient avant d’atteindre leur cinquième anniversaire au début des années 1950, alors que ce n’est plus le cas que d’un sur dix au début des années 2000 (figure 6). La baisse de la mortalité des enfants s’est faite à un rythme inégal. Elle est lente dans les années 1950 et 1960, car l’immense majorité de la population vit à la campagne, et bénéficie peu des infrastructures sanitaires concentrées en ville (hôpitaux, dispensaires).



La baisse s’accélère dans les années 1970 et 1980 grâce à la vaccination généralisée des enfants contre les maladies de la petite enfance. Celle-ci fait rapidement baisser la mortalité, même si la moitié d’entre eux seulement sont effectivement vaccinés. Dans la région de Bandafassi, la rougeole était la cause d’un décès sur quatre chez les enfants au-delà du premier mois avant que ceux-ci ne soient vaccinés [8]. L’introduction des vaccinations à la fin des années 1980 fait reculer la part de la rougeole à moins de 3 %, alors que la moitié seulement des enfants sont vaccinés. La mortalité des enfants, quelle qu’en soit la cause, a baissé immédiatement de 40 %, soit plus que ce qu’on attendait de la simple suppression des décès liés directement aux maladies ciblées par les vaccins (rougeole, coqueluche, tétanos, etc).

Les progrès cessent dans les années 1990 en raison de la stagnation de l’effort vaccinal et de la recrudescence de la mortalité due au paludisme, liée aux résistances vis-à-vis des traitements utilisés jusqu’alors. L’épidémie de sida n’est pas en cause dans ce pays car elle s’y est peu développée (moins de 1 % des adultes étaient infectés par le virus du sida en 2005). Le regain de l’effort vaccinal, notamment par l’instauration de journées nationales de vaccination et de distribution de vitamine A et l’organisation de campagnes spécifiques de vaccination contre la rougeole, entraînent la reprise des progrès au début des années 2000.

Extrait de Population & Sociétés, n° 463, janvier 2010.

Source photo : The U.S. Army


[1Nations unies - World Population Prospects : the 2008 Revision, 2009 (http://esa.un.org/unpp/).

[2Anne Pla et Catherine Beaumel - « Bilan démographique 2009 : Deux pacs pour trois mariages », Insee-Première, n° 1276, janvier 2010, et site internet de l’Insee : www.insee.fr.

[3Nations unies - World Population Prospects : the 2008 Revision,
2009 (http://esa.un.org/unpp/).

[4OMS - The global burden of disease : 2004 update, 2008 (http://www.who.int/).

[5Peter Aaby, Badara Samb, François Simondon et al. - « Non-specific beneficial effect of measles immunisation : analysis of mortality studies from developing countries », British Medical Journal, 1995, 311, p. 481-485.

[6Peter Aaby, Henrik Jensen, J. Gomes et al. - « The introduction of diphtheria-tetanus-pertussis vaccine and child mortality in rural Guinea-Bissau : An observational study », International Journal of Epidemiology, 2004, 33, p. 374-380.

[7May-Lill Garly, Henrik Jensen, Cesario Martins et al. - « Hepatitis B vaccination associated with higher female than male mortality in Guinea-Bissau : An observational study », Pediatric Infectious Diseases Journal, 2004, 23, p. 1086-1092.

[8Annabel Desgrées du Loû, Gilles Pison et Peter Aaby – « The role of immunizations in the recent decline in childhood mortality and the changes in the female/male mortality ratio in rural Senegal », American Journal of Epidemiology, 1995 ; 142, p. 643-52.

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Date de première rédaction le 16 avril 2010.
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