Analyse

Stages de troisième : l’égalité des chances s’arrête à la supérette

Censé stimuler des vocations, le stage de troisième reproduit les disparités sociales. Où les collégiens font-ils leurs stages ? Les entreprises sur lesquelles ces stages ouvrent les yeux ne sont pas les mêmes, qu’on vive dans le Ve arrondissement de Paris ou à Aubervilliers. Extrait du site Rue89.com.

Publié le 18 novembre 2010

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« Moi, en troisième, je rêvais d’un stage dans une pharmacie. Mais avec mon père, on n’en a trouvé aucune qui accepte, alors j’ai été en boulangerie. La plupart de mes copains aussi : c’était le plus facile. ». C’est Amadou qui parle. Il vient de Vitry, une banlieue délicate au sud de Paris. Kahina, qui fréquente aujourd’hui le même lycée que lui, à Ivry (Val-de-Marne), se flatte de s’être « débrouillée 100% seule »… pour atterrir dans le magasin de prêt-à-porter de la mère d’une copine : « Bien sûr que si j’avais vraiment pu faire ce que je voulais, j’aurais fait autre chose. Ce dont j’aurais rêvé, c’est un stage dans un centre médico-social ou une mairie. Mais c’est comme ça. ».

Chaque année, les élèves de troisième effectuent un stage d’observation en entreprise. Durée : deux à cinq jours. Les profs commencent à leur en parler à la rentrée, ils cherchent de leur côté. Plus ou moins épaulés par un parent, une voisine, un « ami de papa ».

Quand on la contacte pour obtenir la liste des stages de l’une de ses classes, une enseignante d’un établissement chic et tranquille du Ve arrondissement à Paris siffle un peu : « Vous savez, ils ont mille fois plus de réseau que moi ! »

Cabinet d’avocats ou galerie marchande

Alors que ses ouailles dénichent, tout en souplesse et à 14 ans, des stages en cabinet d’avocats, dans des boîtes de production ou à l’Institut Pasteur, ses pairs en poste dans des milieux plus difficiles -ou moins citadins- se félicitent d’avoir fini par placer un tiers de la classe à la galerie marchande du coin. Dans le centre-Bretagne, c’est plutôt chez le garagiste, à la PME de réparation de matériel agricole qu’ils passent la semaine. Parfois, à l’office notarial ou dans un laboratoire d’analyses médicales.

Vous vous méfiez des caricatures à gros traits ? Sur le papier, ce dispositif était, bien sûr, censé stimuler des vocations. Grandeur nature, il transpire pourtant un déterminisme qui ne démode pas Pierre Bourdieu et ses travaux sur la reproduction des élites. Quarante-six ans après la publication des « Héritiers » et même si les mots ont changé, « égalité des chances » oblige. Une prof bretonne y ajoute le manque d’entrain des élèves qui ne saisissent pas toujours l’occasion pour changer de milieu.

Les profs rongent leur frein

A Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), les collègues de la prof agressée à cinq mois de grossesse sont ravis de voir la question émerger. Comme si les enseignants rongeaient leur frein de longue date sur ce dispositif qui reproduit des disparités sociales.

La preuve avec la photo des stages obtenus dans trois classes de troisième d’horizons très différents :





Chloé Leprince

Article extrait de www.rue89.com.

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Date de première rédaction le 18 novembre 2010.
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