Analyse

Garde des enfants : des papas lésés ?

Après une séparation, la justice évince-t-elle systématiquement les pères de la garde d’enfant ? C’est ce que dénoncent des mouvements de pères en colère. La réalité est tout autre, explique Xavier Molénat. Extrait du magazine Sciences Humaines.

Publié le 29 octobre 2013

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Femmes et hommes

Le week-end du 16-17 février 2013, toutes les caméras de télévisions de France et de Navarre étaient braquées sur un seul homme. À Nantes, Serge Charney, divorcé, passe trois nuits en haut d’une grue pour réclamer un droit de visite et un droit de garde pour son fils. D’autres actions spectaculaires menées en parallèle semblent alors faire découvrir à la France l’existence d’un mouvement de pères divorcés en colère, dénonçant une justice qui les éloignerait arbitrairement de leurs enfants.

La tyrannie des « vulvocrates » ?

Pourtant, rappelle la politiste Anne Verjus, ces associations, très développées au Canada, existent depuis les années 1970 en France. Parfois qualifiées de « masculinistes », elles ont connu un regain dans les années 1990, avec notamment la création de la plus visible d’entre elles, SOS Papa, en 1991. Cette association recrute, selon l’analyse de la sociologue Aurélie Fillod-Chabaud, des pères issus de milieux plutôt urbains et aisés qui, après une expérience « traumatique » de la justice, viennent y chercher non seulement des conseils mais également « un discours sur la justice familiale qui se voudrait critique et analytique [1] ».

De fait, SOS Papa développe un discours assez élaboré. Les combats ont évolué (d’abord partage de l’autorité parentale en cas de séparation, puis défense de la médiation familiale et de la résidence alternée), mais ils restent inscrits dans une critique plus globale d’une société qui serait désormais acquise aux femmes. Défendant l’égalité entre femmes et hommes, mais sur un plan strictement professionnel, SOS Papa critique le « faux féminisme » qui, en donnant aux femmes le pouvoir dans la sphère domestique, les a transformées en « mères toutes-puissantes ». Un féminisme « dévoyé », qui a « fragilisé les hommes » et « rabaissé les pères à leur seule fonction génitrice (des pères “jetables”) ou à leur fonction financière de pourvoyeurs de pensions alimentaires [2] ». Défendant (en s’appuyant notamment sur des travaux de psychologues) une complémentarité des rôles maternel et paternel tous deux nécessaires au bon développement de l’enfant, les publications de l’association dénoncent ainsi à longueur de page « le génocide perfide et silencieux des pères », la tyrannie des « vulvocrates » qui se font faire des « enfants sur catalogue » ainsi que « les mauvais coups de la justice matriarcale ». Car pour ces associations, les institutions sont complices de la volonté de vengeance que porteraient les femmes. Obtenir la garde de l’enfant (et éventuellement le retrait du droit de visite) serait pour ces dernières une stratégie visant à ce que les hommes paient « de leur personne et de leur statut de père la séparation [3] ». La justice familiale est perçue comme un monde largement féminisé (« les hommes se demandent ce qu’ils font là », dit un avocat de SOS Papa), rendant de ce fait des décisions presque toujours favorables aux mères, qu’il s’agisse du lieu de résidence de l’enfant (dans huit cas sur dix, la résidence est fixée chez la mère) ou du montant de la pension. Loin d’agir en médiatrice, l’institution judiciaire désignerait en fait un coupable, le père, et une vengée, la mère.

Jugements consensuels

Une vision que démentent pourtant les faits. Il est certes vrai que dans près de 80 % des divorces, la résidence de l’enfant est fixée chez la mère, la résidence chez le père ne présentant que 8 % des cas et la résidence alternée, 15 % (chiffres 2003, ministère de la Justice). Mais une enquête récente sur le traitement judiciaire des séparations conjugales, fondée sur l’examen de dossiers et l’observation d’audiences au tribunal, montre que « dans 82 % des affaires impliquant des parents ayant des enfants à charge (…), il n’y a pas de conflit sur la résidence des enfants : soit qu’il n’y ait pas de désaccord du tout (divorces par consentement mutuel), soit que le ou les litiges portent sur d’autres sujets [4] ».

La même enquête montre par ailleurs qu’il n’existe pas de biais « promaternel » chez les magistrats. Ceux qui ont été interrogés récusent les qualificatifs de « promères » ou « propères », et n’éprouvent aucune hostilité de principe à la résidence alternée. Le principe de la coparentalité est constamment réaffirmé, les (rares) demandes d’exercice exclusif de l’autorité étant appréhendées avec méfiance. Un juge rappelle ainsi à une mère traitant son ex-conjoint de « géniteur (…) qui ne mérite pas son fils » que de tels propos risquent de « bousiller » son fils, et lui enjoint de lire des livres de psychologie. Une analyse statistique met enfin en évidence le fait que le sexe du magistrat (70 % des juges aux affaires familiales seraient des femmes) n’a aucune influence significative sur le type de décision rendue, qu’elle concerne la résidence de l’enfant ou le montant des pensions [5].

Papa ne veut pas s’occuper de l’enfant seul

Si donc les magistrats attribuent dans une écrasante majorité des cas la responsabilité principale de l’enfant à la mère, c’est tout simplement « parce que les justiciables eux-mêmes vont dans ce sens ». Les sociologues mentionnent le fait que de nombreux pères « affirment ouvertement qu’ils ne souhaitent pas ou ne peuvent pas s’occuper seuls de leurs enfants » : soit ils n’en ont jamais eu l’expérience, soit leurs horaires professionnels les en empêchent. À l’inverse, les mères font généralement valoir le fait que c’étaient elles qui étaient en charge du quotidien de l’enfant, qu’elles ont pour cela adapté leurs horaires, ce qui « rend difficilement admissible le fait de s’en détacher [6] ».

Un constat qui fait ressortir les sérieuses limites de l’égalité revendiquée par les associations pour le droit des pères. Comme le rappellent Anne Verjus et Marie Vogel, celle-ci est d’abord limitée à l’après-divorce : « SOS Papa ne se mobilise pas pour revendiquer ou promouvoir plus largement l’égalité ou sa présence réelle dans le couple uni. » Les revendications de SOS Papa restent ensuite cantonnées à la sphère privée : « Les associations de père ne se battent ni pour la reconnaissance de la paternité active dans le cadre de l’entreprise, ni pour sa promotion dans l’espace public ou dans l’éducation des enfants. » Enfin, coparentalité et résidence alternée ne sont jamais considérées comme des impératifs : ils restent pour les pères « une affaire de choix personnel et d’opportunité [7] ». Les seules obligations reconnues concernent la contribution économique (versement d’une pension) et l’autorité (participation aux choix décisifs concernant l’enfant), dessinant là encore une conception traditionnelle des rôles parentaux.

C’est sans doute la pierre d’achoppement des revendications de ces pères en colère. Là où ils revendiquent un droit inconditionnel à l’enfant, les féministes leur rappellent que ce droit ne peut que dépendre de leur investissement effectif dans l’éducation des enfants au moment où le couple est encore uni – investissement qui est d’ailleurs, statistiquement, le meilleur prédicteur du maintien du lien père-enfant après la séparation. Or on sait combien l’entretien des enfants au quotidien et la prise de congés parentaux incombent encore largement aux mères. Peut-être donc, avant de grimper aux grues, ces papas feraient-ils mieux de donner un petit coup de main à la maison ?

Xavier Molénat

Extrait du magazine Sciences Humaines, n°249, juin 2013.

Photo / © Annett Seidler - Fotolia.com


[1Aurélie Fillod-Chabaud, « Les groupes militants de pères séparés en France : assurer la visibilité de la lignée paternelle », Informations sociales, n° 176, 2013/2.

[2Anne Verjus, « Les coûts subjectifs et objectifs de la masculinité : le point de vue des masculinistes (et des féministes) », in Delphine Dulong et al. (dir.), « Boys Don’t Cry !Les coûts de la domination masculine », Presses universitaires de Rennes, 2012

[3Aurélie Fillod-Chabaud, « “Faire sans la justice ?”. Étude du cycle de la vengeance auprès d’un échantillon d’hommes en situation de séparations conjugales au sein d’une association de défense du droit des pères », in Jean-Claude Bourdin et al., « Faire justice soi-même. Études sur la vengeance », Presses universitaires de Rennes, 2010.

[4Céline Bessière et al., « Résidence alternée : la justice face aux rapports de sexe et de classe », Lien social et politique, n° 69, 2013.

[5Bessiere Céline, Mille Muriel, « Le juge est (souvent) une femme. Conceptions du métier et pratiques des magistrates et magistrats aux affaires familiales », Sociologie du travail, vol. 55, n°3, 2013.

[6Céline Bessière et al., voir plus haut note 4

[7Anne Verjus et Marie Vogel, « Le(s) droit(s) des pères : des mobilisations pour une condition paternelle “choisie” ? », Informations sociales, n° 176, op. cit.

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Date de première rédaction le 29 octobre 2013.
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