Point de vue

Pourquoi faire payer les riches ne paie pas

Pour sortir de la crise, faire payer les riches ne paie pas. Si la démagogie fiscale est inefficace d’un point de vue économique, elle est aussi une erreur politique. Notre pays ne peut moderniser son modèle sans un large effort de solidarité universel. Un point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Extrait de Alterecoplus.

Publié le 27 octobre 2015

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Revenus

Pour sortir de la crise, faire payer les riches est un programme insuffisant, qui à lui seul se révèle même contreproductif pour les plus démunis. La démagogie fiscale est inefficace d’un point de vue économique mais aussi une faute politique. Notre pays ne s’en sortira pas durablement sans un effort de solidarité universel. Les récentes données publiées par l’Insee sur les revenus 2013, permettent de comprendre pourquoi en faisant un bilan de la période 2011-2013. Il se passe ce que nous annoncions au printemps 2012 (lire « Faire payer les riches » : un consensus démagogique) : les hausses d’impôts, trop concentrées sur le haut de la distribution des revenus, ont mis à mal la légitimité du système et annihilé les efforts de redressement. Finalement, les catégories populaires vont le payer encore plus cher.

La construction du « ras-le-bol fiscal »

Entre 2011 et 2013, le niveau de vie moyen (après impôts et prestations sociales) des 10 % les plus aisés est passé de 59 200 à 54 200 euros, une perte de 5 000 euros, qui représente 9 % de leurs revenus. Comme le note l’Insee, une partie de cette baisse est liée à la diminution des revenus du patrimoine et sans doute à des jeux d’optimisation fiscale, mais c’est principalement la fiscalité qui a pesé. Dès lors, la réaction a été rapide et ce qui devait arriver arriva, on a assisté à la construction du « ras-le-bol fiscal » : avec l’aide du ministre de l’Économie de l’époque Pierre Moscovici, de quelques sondages faciles et des lobbys anti-impôts, les plus aisés ont réussi à faire passer le message selon lequel tout le monde paie trop d’impôts.
Le tour était joué, et la majorité a retourné sa veste et remisé la réforme fiscale au rayon des accessoires, avant de se convertir à un « socialisme de l’offre » qui n’a rien de social « réformiste » ou « démocrate ». Les baisses d’impôts ont repris : le pacte dit de « responsabilité » va faire perdre pas moins de 46 milliards chaque année aux finances publiques, un montant colossal qui met en échec toute possibilité de rénovation de l’offre de services publics (voir notre comparateur pour comprendre ce que l’on aurait pu faire à la place).

Pour une juste répartition

On peut trouver de nombreux arguments pour défendre la taxation des riches de l’époque. Bien entendu, la hausse des impôts de 2011 à 2013 n’est rien comparée à ce que ces catégories ont engrangé en baisses entre 2000 et 2010, l’effort est d’un niveau à peu près moitié moindre. Bien entendu, leur niveau de vie reste conséquent : en 2013, les 10 % les plus riches touchent en moyenne 2 900 euros de plus qu’en 2003, alors que les 10 % les plus pauvres ont perdu 80 euros. Bien entendu, une poignée de « super-riches » se sont enrichis de façon éhontée et continuent de le faire pendant la crise. Mais cet exemple montre que l’universalité de l’impôt et de l’effort réalisé lui assure sa légitimité. Vous pouvez prendre 1 000 euros à celui qui gagne 10 000, s’il sait que celui qui touche 1 000 y sera aussi de sa poche, même très modestement. Ce n’est pas le niveau qui compte, mais le sens d’une juste répartition.
Le gouvernement, gavé aux sondages, n’y voit plus clair. « Le but est de faire sortir le plus de personnes de l’impôt sur le revenu. », assurait Manuel Valls en mai 2014. C’est exactement l’inverse qu’il faut faire. La déclaration des droits de l’Homme indique dans son article 13 « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. ». C’est cela qu’il faut montrer : comment l’effort est réparti entre tous ceux qui ont les moyens. C’est cela qui assure la capacité de l’action publique à se redresser dans la durée et à redistribuer ensuite des sommes prélevées de façon juste.
Au passage, la quasi-suppression des allocations familiales pour les plus aisés repose exactement sur le même schéma. En refusant quelques dizaines d’euros mensuels aux riches, on sape l’universalité et la légitimité de notre système de protection sociale (pourquoi ne pas, tant qu’on y est, leur faire payer l’école primaire ?). On ruine l’édifice à terme et on nourrit le discours sur ses dépenses excessives, ce qui donne du poids, par exemple, à ceux qui veulent réduire les allocations logements. Les plus démunis en seront au final pour leurs frais.

Faire payer les pauvres ?

Faudrait-il alors « faire payer les pauvres » ? La démagogie, la politique du bouc émissaire souvent défendue à droite en ciblant les « assistés », les pauvres parmi les pauvres, conduit à une spirale sans fin, qui rappelle les heures sombres de l’Histoire de notre pays. La seule alternative est de défendre un effort partagé et progressif. Pour cela, on pourrait, par exemple, débaptiser la contribution sociale généralisée et l’appeler impôt sur le revenu généralisé, en l’assortissant d’un abattement fixe ce qui le rendrait progressif [1], et en augmenter légèrement les taux. A terme, une fusion avec l’impôt sur le revenu est indispensable. Montrer du doigt les « super riches » galvanise les « un peu moins riches ». Ça ne mange pas de pain, mais cela ne règle rien à nos problèmes de fond. Un jour, il faudra que l’on comprenne que l’on a tout à gagner à éviter de se repasser le mistigri de la solidarité et à se retrousser les manches en fonction de ses capacités contributives. Qui portera un tel discours ? A l’heure où les choix politiques sont ivres de la démagogie des sondages, on en est malheureusement bien loin.

Article du 13 octobre 2015 extrait de Alterecoplus.

Photo / © Jerome Dancette - Fotolia.com


[1Scénario déjà proposé à la fin des années 2000 par Pierre Concialdi et Jean-Marie Monnier. Voir notamment « Scénarios de réforme de la CSG. Revue française de Finances publiques », 2002, pp.113-138.

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Date de première rédaction le 27 octobre 2015.
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