Proposition

Vers l’égalité réelle entre les sexes

Les inégalités entre les femmes et les hommes s’observent de l’emploi à la maison, en passant par l’éducation et la vie politique. Les réponses des pouvoirs publics doivent prendre en compte leur indissociabilité et s’accompagner d’un travail sur les représentations. Les propositions de Françoise Milewski, économiste à l’Office français des conjonctures économiques (OFCE).

Publié le 7 mars 2017

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Femmes et hommes


Ce texte est extrait de l’ouvrage ’Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent’, sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.
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Actuellement, un écart d’environ sept points entre le taux d’emploi des femmes et celui des hommes demeure. Or l’emploi est une garantie d’indépendance financière, voire d’indépendance tout court. Elle est cruciale en cas de rupture conjugale. Mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante. La qualité de l’emploi est en effet essentielle, tant du point de vue des conditions de travail et de vie que de l’autonomie. Les femmes sont les premières concernées par les emplois instables et à temps partiel, et, de fait, sont les plus touchées par la précarité et la pauvreté en emploi.

Inciter à l’accroissement du taux d’emploi des femmes ?

Pour de nombreuses femmes, les ruptures de parcours, la fragilité de l’insertion et de la réinsertion après un congé parental, par exemple, créent une relation instable au marché du travail. Certains temps partiels (notamment dans les services) dégradent les conditions de vie : horaires fragmentés, atypiques, imprévisibles, à grande amplitude horaire, et donc, incidemment, une non-maîtrise du temps. Lorsque ces emplois sont exercés par des femmes peu ou pas qualifiées, donc à faible salaire horaire (proche du Smic), ils sont porteurs de pauvreté en emploi, surtout si ces femmes supportent seules des charges de famille.

Les politiques publiques ne devraient donc pas avoir seulement des objectifs en termes de taux d’emploi mais aussi en termes de qualité de l’emploi. Alors que les réformes du marché du travail vont, au contraire, vers un accroissement de la flexibilité.

Des lois contraignantes ?

Des lois sans contrainte ni sanction n’ont jamais fait bouger la réalité. De nombreuses lois (1972, 1983, 2001) ont inscrit l’objectif de l’égalité salariale, sans que les écarts de salaires entre les femmes et les hommes ne soient vraiment réduits. La loi de 2006 a ouvert la voie vers les sanctions financières, mais leur mise en œuvre fut spectaculairement longue : il a fallu attendre 2012 pour que les décrets d’application de la loi concrétisent l’obligation de publier des rapports de situation comparée entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, de négocier des accords d’égalité salariale et professionnelle, et à défaut, d’élaborer des plans d’action unilatéraux des employeurs. Les premières sanctions financières sont tombées. Depuis, la loi sur le dialogue social de 2015 a dissous, au nom de la simplification, les objectifs de l’égalité dans un ensemble plus vaste de la qualité de vie au travail, lui faisant perdre sa spécificité (tant pour le constat que pour la négociation).

Autre exemple : l’accès aux postes de direction. La loi Coppé-Zimmermann de 2011 pour le secteur privé (conseils d’administration) et Sauvadet en 2012 pour la fonction publique (emplois d’encadrement supérieur) ont défini des quotas (40 % de femmes à ces postes à l’horizon 2017), avec des sanctions financières en cas de non-respect. L’objectif est d’opposer des « discriminations positives » ou « actions positives » aux discriminations que subissent les femmes. Il s’agit de corriger des situations inégalitaires de fait. Tenir compte de situations inégales qui conduisent à des discriminations et les compenser par des mesures favorables à celles qui les subissent (mesures préférentielles) ne constituent pas une rupture d’égalité, au contraire. C’est le principe même du droit européen de la non-discrimination, qui autorise leur mise en œuvre. Ces mesures sont conçues comme étant provisoires, tant que l’égalité n’est pas réalisée dans les faits, en dérogeant temporairement à l’égalité de droit pour atteindre l’égalité réelle. La constitutionnalité de ces mesures est désormais acquise pour les sphères politique et économique (réforme constitutionnelle de juillet 2008). Les lois de 2011 et 2012 ont fait grimper la part des femmes aux plus hauts postes de direction, mais elles ne résolvent pas les discriminations tout au long du parcours professionnel. Ces deux exemples montrent l’importance de faire peser des contraintes réelles, et de ne pas se contenter seulement d’objectifs généraux souvent incantatoires.

Des politiques neutres ?

L’effectivité d’une politique luttant contre les inégalités entre les femmes et les hommes tient à la cohérence des mesures prises et, plus généralement, à l’attention portée aux effets de toutes les politiques publiques, pour éviter que des discriminations indirectes [1] en résultent. Par exemple, le temps partiel des femmes découle d’une tendance longue de développement des services − créateurs d’emplois, souvent à temps partiel. Les mesures de politique économique ont, de plus, favorisé le temps partiel en 1992 et 1993 pour lutter contre le chômage par des incitations financières : abattement des cotisations employeurs (supprimé en 2000) et allégements de charges, qui ont pris fin en 2002, sous l’effet de la loi sur la réduction du temps de travail.

Les mesures de soutien au temps partiel n’étaient pas destinées spécifiquement aux femmes. Mais elles ont conduit à faire croître le temps partiel des femmes de façon significative entre 1993 et 2000. Mesure neutre, elle est devenue discriminatoire dans le contexte général de l’emploi des femmes. Au regard de la politique de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, des politiques « neutres » ont des effets inégalitaires.

Plus récemment, les politiques publiques ont tenté de contrecarrer le développement du temps partiel, en particulier les temps partiels très courts, pour lutter contre la précarité. Un minimum de 24 heures hebdomadaires a été institué par la loi de sécurisation des parcours (2014), mais les multiples dérogations possibles en ont atténué la portée.

Les politiques familiales

Les structures d’accueil de la petite enfance jouent un rôle majeur : si elles sont en nombre suffisant, de qualité et accessibles financièrement, elles favorisent à la fois la natalité et l’emploi des femmes. Dans les pays où elles sont notoirement insuffisantes, la natalité est faible et/ou l’emploi des femmes en retrait. La France apparaît en meilleure situation que d’autres pays européens. Pourtant, dans la tranche d’âge des 0-3 ans, la pénurie est importante et l’accent devrait être mis sur le développement des structures d’accueil.

De plus, des congés parentaux longs et mal rémunérés favorisent le fait que ce soient les femmes qui les prennent. Or, un long retrait du marché du travail complique la réinsertion pour les salariées peu ou pas qualifiées. Certaines politiques familiales peuvent être contradictoires avec les politiques d’égalité : par exemple, l’extension du congé parental aux parents de deux enfants avait fait chuter le taux d’emploi des mères lorsqu’elle fut adoptée au milieu des années 1990.

Les politiques éducatives ont également un rôle crucial. La différenciation des rôles des filles et des garçons se forge dès la petite enfance. Puis, c’est à l’école et tout au long de la formation que s’établit la ségrégation des métiers dits « de femmes » et ceux dits « d’hommes », archétypes des stéréotypes. La non-mixité des métiers joue un rôle important dans la reproduction des inégalités professionnelles, d’où l’importance de politiques éducatives, notamment au moment des choix d’orientation.

Peut-on modifier l’inégal partage des tâches domestiques et parentales ?

Le partage des tâches domestiques et parentales témoigne d’une inertie spectaculaire. Les enquêtes « emploi du temps » de l’Insee montrent que les progrès sont très ténus et que, si les femmes en font moins, cela tient surtout au fait qu’elles délèguent en partie ces tâches (plats cuisinés, lave-linge, etc.) et non au fait que les hommes en fassent plus, leur implication ayant peu augmenté au cours des années. Ainsi, les femmes ont intégré le marché du travail, tandis que les hommes n’ont pas investi la sphère domestique dans les mêmes proportions.

Les politiques publiques peuvent-elles infléchir ces comportements, ou bien le « privé » est-il hors de leur champ d’intervention ? En réalité, nombre de ces politiques ont une influence sur ce qui s’y passe : on peut citer les politiques familiales (en particulier l’accès des pères aux congés parentaux et l’allongement des congés de paternité), les politiques éducatives, les politiques contre les violences, les mesures contre le sexisme, etc. Le partage inégal des tâches est un phénomène qui résulte d’une construction sociale, non d’une simple décision individuelle de l’ordre de l’intime.

La conquête de l’égalité met en cause les différences construites entre les sexes, c’est-à-dire la division sexuée des rôles sociaux. Les politiques doivent donc agir sur les inégalités professionnelles comme privées et s’attaquer tant à leurs fondements qu’aux situations qu’elles produisent.

Françoise Milewski, auteure de Les discriminations entre les femmes et les hommes (dir.) avec Hélène Périvier, Presses de Sciences Po, 2011.

Photo / DR


[1Discrimination indirecte : existence d’une disposition, d’un critère ou d’une pratique apparemment neutre, mais susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour certaines catégories de personnes (ethnie, religion, sexe,etc.).

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Date de première rédaction le 7 mars 2017.
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