Point de vue

L’arnaque de l’égalité des chances

Le premier ministre a déclaré l’année 2006, année de « l’égalité des chances ». Un concept destiné à justifier les inégalités. Un point de vue de Roland Pfefferkorm, professeur de sociologie à l’Université de Marc Bloch à Strasbourg, extrait de La Marseillaise.

Publié le 10 janvier 2006

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Dans sa conférence de presse du 1er décembre dernier, Dominique de Villepin a une fois de plus mis en valeur la notion d’égalité des chances avant d’annoncer des mesures qui vont accroître les inégalités. Il l’a décliné sous tous les registres. « L’urgence aujourd’hui, c’est de faire de l’égalité des chances une réalité pour tous, avec deux leviers : l’emploi et l’éducation » a-t-il notamment affirmé au début de son intervention qu’il a clôt par la formule : « L’année 2006 sera l’année de l’égalité des chances ».

Or, ce qu’un lecteur ou un auditeur distrait ne sait pas toujours c’est que cette notion d’égalité des chances n’a pas grand-chose à voir avec l’égalité. C’est même tout le contraire. Cela apparaît de manière limpide dans la déclaration qu’avait faite il y a quelques années Gerhard Schröder : « Je ne pense plus souhaitable une société sans inégalités... Lorsque les sociaux-démocrates parlent d’égalité, ils devraient penser à l’égalité des chances et pas à l’égalité des résultats ».

L’égalité des chances est une notion typiquement libérale qui est mise sur le devant de la scène pour justifier l’existence, voire l’accroissement, des inégalités sociales et en aucun cas à réduire ces dernières. Or depuis 25 ans les inégalités sociales se sont fortement accrues au détriment de la plupart des salariés, et le mouvement régressif se poursuit.

Pendant la même période, l’expression égalité des chances s’est répandue dans le débat public, dans les déclarations politiques et dans la presse, mais aussi dans les textes juridiques. Des juristes ont souligné avec raison l’ambivalence et l’ambiguïté de cette notion (voir Koubi et Guglielmi (dir.), L’égalité des chances. Analyses, évolutions, perspectives, La Découverte, 2000). Ils expliquaient qu’il s’agit pour ceux qui se servent de cette notion «  de prévoir et d’énoncer des mesures d’adaptation, d’accommodement pour masquer, déguiser les formes les plus apparentes de l’inégalité et prétendre respecter et faire respecter le principe d’égalité ».

La notion floue d’égalité des chances remplit donc une fonction de masque en écartant « toute interrogation sur la formation et le développement des inégalités économiques et sociales, et parfois même sociales et culturelles ». Elle permet en même temps de légitimer et de renforcer le principe de l’inégalité sociale. En effet, cette notion sous-entend l’inégalité puisque « chance » suppose la possibilité de s’élever à un niveau supérieur dans une société fortement stratifiée. Le jeu de l’égalité place illusoirement les individus dans une situation théorique identique au départ, mais la chance sensée se développer librement assure la reproduction et la consécrations des inégalités. En effet, «  si le jeu de l’égalité rend à chacun certaines chances et doit limiter normalement le rôle de certains déterminismes, le jeu de la chance ainsi ouvert ne peut que réintroduire des inégalités ».

Cette notion libérale permet enfin de déplacer la question de l’égalité du terrain de la légitimité de l’existence de la hiérarchie sociale sur celui des chances individuelles d’y occuper une place de choix. Le caractère social des inégalités est renvoyé au mérite individuel, à l’aptitude, au talent, aux capacités, aux « dons », voire à la chance de chaque individu pris isolément. La notion d’égalité des chances permet finalement de diluer et de dénaturer la valeur d’égalité, l’égalité comme réalité et comme horizon. Car là où il y a égalité, par définition il n’y a pas besoin de chance ; et là où il y a chance il n’y a pas égalité, mais hasard, gros lot ou lot de consolation... Le mot chance ne renvoie-t-il pas au monde de la loterie, un monde où quelques-uns gagnent... et où la plupart perdent ?

Cet article est extrait de la Marseillaise du 8 décembre 2005. Texte repris avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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Date de première rédaction le 10 janvier 2006.
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