Analyse

Mobilisation contre les expulsions d’enfants

Familles, élus et associations se mobilisent dans le Loiret pour éviter une expulsion. Véronique Mougin relate cet élan de solidarité et de générosité (article extrait du mensuel Marie-Claire).

Publié le 31 janvier 2006

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Origines

Elle porte des couettes à rubans roses. Lui a le regard fuyant des vrais timides. Elssa, 4 ans, et son frère Nellito, 7 ans, ressemblent à tous les gamins du monde. Sauf qu’ils ont connu l’exil, la rue, la clandestinité. Sauf que leur mère n’a ni revenu, ni logement, ni papiers. Résumons : c’est en 2003 que Laura Miguel, 27 ans, et ses deux enfants débarquent à Fleury-Les-Aubrais, deuxième ville du Loiret. Elle vient du Cabinda, enclave angolaise riche en pétrole, diamants et troubles politiques. Là-bas, son indépendantiste d’époux a été incarcéré. Pour le faire évader, elle dit avoir soudoyé le directeur de la prison, avant de s’enfuir pour échapper aux représailles. En France, elle réclame donc l’asile politique. Comme 10 000 enfants de clandestins(1), les siens vont à l’école. Nul besoin, en effet, de posséder un titre de séjour quand on est mineur ; les petits sans-papiers peuvent donc fréquenter la cour de récré... jusqu’au jour de leur expulsion. Car l’histoire se termine souvent ainsi : plus de 15 000 reconduites à la frontière ont eu lieu depuis janvier(2) et les familles n’y échappent plus. Laura, déboutée du droit d’asile, aurait donc du finir dans un charter avec ses marmots. Mais l’intégration a parfois de réjouissants effets...

Des gosses SDF, connus dans leur quartier et bientôt expulsés ? Voilà qui a fait vibrer la corde sensible de quelques citoyens ordinaires. L’an dernier, une militante de Droit au Logement sonnait le tocsin pour « sauver Laura et ses enfants ». Le maire l’a entendu. Et puis l’école d’Elssa et Nellito s’y est mise : les parents d’élèves ont fondé un comité de soutien, les instits ont signé des pétitions. Cathos, athées, militants, apolitiques... : une brochette de vous-et-moi les ont rejoint, rédigeant du tract au kilomètre, battant le pavé devant la Préfecture. Pendant que Laura vivait cachée afin d’éviter l’arrestation, certains l’ont aidée, nourrie ; tous ont réclamé sa régularisation. Pourquoi ? Par sympathie pour Laura. Ou par charité chrétienne. Par conviction politique, ou simplement parce que « ça n’est pas normal ». Pas normal que l’enfance d’Elssa et de Nellito soit broyée par la clandestinité, ni qu’ils aient été parqués dans un centre de rétention. Pas normal que leur scolarité s’interrompe, ni qu’ils retournent dans un pays « qu’ils connaissent à peine ». « Quand le clandestin habite au coin de la rue, l’entraide devient naturelle, même chez des gens qui, en théorie, pensent que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », affirme Martine Rico, membre du collectif de soutien aux sans-papiers scolarisés d’Orléans.

Dans le Loiret, 25 comités ont ainsi germé, pour défendre telle ou telle famille clandestine. Et ce département n’a pas le monopole du cœur : cette année, au lycée d’Epinay-sur-Seine, profs, parents et élèves ont plaidé avec succès la cause de Guy, un Camerounais de 19 ans menacé d’expulsion. Même combat au collège Môrice-Leroux de Villeurbanne, et dans des dizaines d’établissements scolaires de l’Hexagone. Bref, du côté de Jules Ferry, la résistance s’organise. Le réseau Education Sans Frontières , un collectif d’enseignants, de militants associatifs et syndicaux créé en 2004, fournit même sur Internet un « mode d’emploi de la régularisation », histoire d’aider les comités locaux à se structurer...

Les supporters de Laura Miguel, eux, n’ont plus grand chose à apprendre. Après les pétitions et les manifestations, ils espèrent une régularisation « à titre humanitaire ». Déjà, ils profitent d’un répit : dans une circulaire du 31 octobre dernier, Nicolas Sarkozy demande aux Préfets de suspendre, jusqu’à la fin de l’année scolaire, la reconduite à la frontière des familles dont les enfants vont à l’école. Une chose est sûre : jusqu’à ce que leur protégée obtienne un titre de séjour en bonne et due forme, ils ne désarmeront pas. Têtus, malgré les risques : la loi
française punit de 5 ans de prison et de 30.000 euros d’amende « toute personne qui aura facilité le séjour irrégulier d’un étranger en France » .

(1)Chiffre du réseau Education Sans Frontières, qui inclut aussi les étudiants sans-papiers, invités à quitter le territoire dès leur majorité s’ils ne sont pas en règle.

(2)L’objectif de Nicolas Sarkozy est de 23 000 pour l’année 2005.

Témoignages

Marie-France Archambault, urbaniste à la retraite, militante de l’association Droit Au Logement

« Quand j’ai rencontré Laura, elle dormait dans un foyer pour sans-abris. Ses journées, elle les passait au centre commercial pour être au chaud, avec ses affaires entassées dans des sacs plastiques, et ses deux petits. En plus d’être à la rue, cette jeune mère, en danger dans son pays, était menacée d’expulsion : la situation m’a paru intolérable. J’ai alerté le maire, le conseiller général, les parents d’élèves, les instits, le curé, les syndicats, les associations... Dans ces cas-là, on trouve une énergie insoupçonnée ! Dès que Laura a reçu son arrêté de reconduite à la frontière, elle s’est terrée dans une planque, et m’a confié ses enfants, pour leur éviter la DASS. A l’âge d’être grand-mère, je suis donc redevenue maman à temps-plein. Elssa fait encore pipi au lit à 4 ans et Nellito vit dans la peur que la police le tue ! Comment s’étonner ? En deux ans, ces gosses ont connu le déracinement, la galère, la clandestinité. Pendant des mois, mon mari et moi avons tenté de leur donner un cadre de vie rassurant, de l’amour, des loisirs. Aujourd’hui, je n’espère plus qu’une chose, leur régularisation. Je sais qu’ils n’ont plus d’autre pays que la France, et d’autre famille que la mienne ».

Les parents d’élèves de l’école Louis Aragon, Fleury-Les-Aubrais (Loiret)

« Notre rôle, c’est de gérer la bibliothèque de l’école, pas de faire de la politique ! D’ailleurs, nous ne sommes pas des militants de la cause des sans-papiers. Mais pour nous, Laura n’est pas un numéro de dossier : c’est une mère qui n’en peut plus, qui a perdu 12 kilos et dont les petits vivent dans des conditions dramatiques. A 4 ans, Elssa a passé la moitié de sa vie dans la rue ! Au moindre bobo, nous emmenons nos gosses chez le psy, alors il nous a paru normal d’aider ces enfants que nous croisons tous les jours à l’école. On leur a apporté des jouets, des vêtements. Les manifs, les pétitions, on a appris sur le tas ! Quand Laura sera régularisée, nous reprendrons notre vie normale. En espérant avoir transmis quelque-chose à nos enfants, quelque-chose de l’ordre de la solidarité et de la citoyenneté ».

Pierre Bauchet, maire de Fleury-Les-Aubrais (UDF)

« Je suis maire depuis 11 ans, proche du mouvement Emmaüs depuis 30 ans et 13 fois grand-père : cela fait beaucoup de bonnes raisons pour aider Laura et ses enfants ! Mon intime conviction est qu’ils seraient en danger s’ils retournaient au Cabinda. Alors, j’agis, c’est tout : on a inscrit gratuitement les gamins au centre aéré, et je plaide le dossier de la maman auprès du Préfet. Le centre d’hébergement qui les accueillait devait fermer : j’ai donc pris un arrêté de réquisition afin qu’ils puissent y rester. Regardez cette famille ! La République ne va pas s’écrouler si on la régularise ! Tous mes concitoyens ne sont pas sur la même longueur d’ondes : les lettres d’insultes anonymes, je connais. Mais pour moi, faire de la politique ce n’est pas gérer les égoïsmes locaux, c’est essayer de faire vivre ensemble des gens différents ».

Hélène Mouchard-Zay, universitaire, militante pour les droits de l’homme

« Aujourd’hui, pour faire du chiffre, l’Etat fait la chasse aux enfants de sans-papiers : la police est venue chercher le fils de Laura au centre aéré pour l’emmener dans un centre de rétention, c’est inacceptable ! J’ai trouvé une avocate pour défendre cette famille, et réunir les preuves du danger qu’elle court au Cabinda. Mais elle a tout de même été déboutée, comme 80 % des demandeurs d’asile ! L’administration rejette leur dossier sans bien connaître leur histoire, et ça révolte beaucoup de monde. Moi, je suis élue à Orléans, de gauche ; le maire de Fleury est UDF. Dans le comité de soutien, on trouve des militants, des gens apolitiques : leur point commun, c’est cette volonté que la France reste une terre d’asile ».

Cet article est extrait du magazine Marie-Claire de janvier 2006. Texte repris avec l’aimable autorisation de l’auteure.

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Date de première rédaction le 31 janvier 2006.
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