Entretien

Revoir la mise en oeuvre des politiques de ZEP, entretien avec Marie Duru-Bellat, professeure des universités à l’Université de Bourgogne et chercheure à l’IREDU de Dijon

Marie Duru-Bellat, professeure des universités à l’Université de Bourgogne et chercheure à l’IREDU de Dijon, s’interroge sur les modalités de mise en oeuvre des politiques de ZEP plutôt que de les condamner. Entretien extrait de (fenêtres sur cours) l’hebdomadaire du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et Pegc.

Publié le 17 mai 2006

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Peut-on dire que la politique des ZEP menée depuis près de 25 ans ait échoué ?

Ce qu’on évalue c’est une politique qui a disséminé progressivement sur un grand nombre d’établissements des petites choses, pas très concentrées : quelques heures en plus par ci, quelques primes par là. Petit à petit on a étendu le système à près d’un élève sur 5. Cela a produit une politique qui n’est pas très nette. Il n’y a pas de coupure tranchée entre ce qui se passe en ZEP et ce qui se passe ailleurs. Quand on évalue les effets scolaires on est très déçu. Mais est-ce la politique des ZEP qu’il faut condamner, ou les modalités de sa mise en œuvre ? Au départ on a sélectionné des établissements ayant un certain nombre de difficultés. Et puis on leur a donné certains petits avantages. Mais de plus en plus d’établissements ont demandé
à être en ZEP. Alors, on a dilué les moyens, et quelque chose de dilué n’a pas d’effets spectaculaires. Si on regarde les progrès scolaires des élèves, on ne trouve pas de différences entre ceux ayant bénéficié des ZEP et les autres.

Sur quels aspects faire porter les efforts pour réussir une politique de discrimination positive à l’école ?

Il faut choisir d’agir sur les leviers les plus efficaces : les personnels, leur pédagogie et l’enseignement. Ce n’est pas simplement en mettant un peu d’argent dans un établissement qu’on va y arriver. Il faut qu’on arrive à mobiliser les enseignants, à les former, à attirer en ZEP les plus expérimentés. Le plus important, ce sont les « ressources humaines » qu’on met dans les ZEP. Il faut aussi qu’on réfléchisse aux pratiques pédagogiques qui se sont révélées les plus efficaces en regardant par exemple dans les pays étrangers. Il y a des pays comme le Royaume Uni qui ont réussi bien mieux que nous avec des méthodes pédagogiques bien précises, avec un pilotage fort et une évaluation sérieuse.

La réforme de l’éducation prioritaire annoncée par le ministère correspond-elle à vos remarques ?

Oui, sur le principe, car de nombreuses études ont montré que le dispositif n’était pas assez ciblé. Il faut donc différencier davantage ; mais ce qu’on peut craindre dans la politique actuelle, c’est qu’elle masque un retrait de
l’Etat.

Une approche territorialisée vous semble-telle toujours pertinente ?

Il est certain que cette approche n’est pas assez précise. On trouve dans les zones difficiles des enfants qui n’ont pas besoin de « traitement » particulier. Réciproquement,
dans certaines zones favorisées il peut y avoir des enfants en difficulté. En même temps, on sait bien que certains quartiers forment un contexte qui accroît les difficultés. Il faut donc aussi agir au niveau des quartiers et pas uniquement à l’école. Les politiques de l’habitat, de l’emploi, sont importantes pour que l’environnement de l’enfant soit amélioré. Il faut conserver une action au niveau des zones, mais qu’elle ne soit pas uniquement scolaire. D’ailleurs, au départ l’idée des ZEP n’était pas une action uniquement centrée sur l’école, mais bien une action au niveau du quartier.

Faut-il reconstruire de la mixité sociale à l’école ?

Les études ont montré qu’on réussit mieux dans les établissements scolaires où la population est mélangée que dans les établissements ghetto. Il se crée dans ces derniers une dynamique négative. Le problème est de savoir comment réaliser la mixité sociale. Si les enfants des milieux les plus populaires y ont intérêt, ce que veulent les parents des milieux plus favorisés pour leurs enfants, c’est qu’ils
restent entre eux. On touche là à un phénomène social auquel l’école toute seule ne peut pas grand chose. Il faut sans doute redéfinir la carte scolaire en mélangeant un peu mieux les publics des zones de recrutement. Alors, mais alors seulement, il faudra l’imposer plus fortement.

Comment l’école peut-elle mieux contribuer à réduire les inégalités sociales et scolaires ?

L’école se montre impuissante à compenser les inégalités qui existent très tôt. Dès la maternelle, les enfants arrivent de familles qui ont constitué des environnements de qualité
inégale, parce qu’elles n’ont pas les mêmes ressources, à tous points de vue. C’est difficile de compenser le poids de la famille. L’école va laisser les inégalités s’accumuler, et croître de plus en plus à l’élémentaire, au collège, au
lycée. L’école fait aussi face à d’autres inégalités dans la société, et son action est importante mais forcément limitée. Les politiques scolaires doivent se centrer sur les premiers niveaux. Dans les débats européens, on en revient
toujours à cette idée d’intervenir le plus tôt possible. Sortir quelques élèves des zep pour les faire entrer en Sciences-po, c’est intéressant, mais c’est beaucoup trop tard pour avancer vers l’égalité des chances.

Texte extrait de (fenêtres sur cours) n°180, 27 janvier 2006, hebdomadaire du Snuipp.

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Date de première rédaction le 17 mai 2006.
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