Analyse

Le traitement inégal des catégories sociales à la télévision

65 % de ceux qui s’expriment à la télévision sont des cadres supérieurs, 2 % des ouvriers. Cette représentation, en complet décalage avec la composition de la société, construit une image déformée de la réalité sociale. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 11 avril 2023

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Modes de vie Catégories sociales Lien social, vie politique et justice

Autant il existe un débat sur la présence des femmes et des minorités visibles à la télévision, autant l’absence des milieux populaires sur ce média semble n’interpeler personne. Pourtant, le décalage est énorme. Alors que les cadres supérieurs représentent 10 % de la population, ils composent les deux tiers des personnes visibles sur le petit écran (dans les fictions, divertissements ou encore programmes d’information), selon l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) [1]. L’étude a été réalisée en observant les personnes qui prennent la parole – sauf dans les publicités et les bandes-annonces [2]. Les professions intermédiaires, le cœur des classes moyennes et qui représentent 14 % de la population, ne sont que 5 % à la télévision. Si les employés, soit 15 % de la population, sont un peu moins sous-représentés avec 8 % des personnages de la télévision, les ouvriers n’occupent qu’une portion très congrue : seulement 2 % des personnes entendues à la télévision pour 12 % de la population. Au total, les catégories supérieures (cadres et chefs d’entreprise) forment 75 % des intervenants du petit écran, alors qu’elles ne représentent que 28 % de la population.

Ces données sont fragiles : la catégorie sociale des personnes qui s’expriment à la télévision est évaluée par des experts qui visionnent les programmes. Elle n’est évidemment pas affichée par celui ou celle qui passe à l’antenne. Les retraités sont considérés comme un groupe social, alors que ce n’en est pas un : il y a des retraités cadres, ouvriers, employés, etc.

Par ailleurs, la sur-représentation des cadres est normale puisque la télévision fait intervenir des experts, ce qui est une bonne chose : il vaut mieux demander l’avis d’un médecin sur les mesures à prendre pour lutter contre une pandémie, que les préconisations du premier passant venu.

Mais c’est l’ampleur de l’écart de représentation entre les catégories sociales qui pose problème. Les cadres sont 30 fois plus présents à l’antenne que les ouvriers et 6,5 fois plus qu’ils ne le devraient si le temps d’antenne était réparti en fonction de leur part dans la population. La télévision construit une image déformée de la société, qui apparait comme largement plus favorisée que ce qu’elle est en réalité. Les catégories populaires sont privées de parole, alors que leur avis mériterait d’être entendu.

La crise des « gilets jaunes », durant laquelle certains des représentants du mouvement ont pu avoir davantage d’antenne, a mis en lumière ce contraste. On a vu apparaître de nouvelles figures sur les plateaux de télévision. Mais la parenthèse s’est vite refermée. En refusant la parole à certains groupes de la société, on accroit le succès d’émissions où les animateurs semblent donner la parole au peuple. Une parole souvent déformée, dans l’excès et la polémique, pour rechercher le plus grand spectacle et augmenter l’audience afin de maximiser les ressources publicitaires.

Au fond, il faudrait pouvoir dépasser cette mesure du temps d’antenne. Le déséquilibre est autant le temps donné à tel ou tel que dans les possibilités d’expression de la personne qui prend la parole : ceux qui représentent le pouvoir (cadres dirigeants, experts, élus, etc.) ont manifestement droit à un traitement bien plus favorable – en termes d’interruptions, de contradiction, etc. – que les catégories populaires ou leurs représentants (les syndicalistes notamment). Les premiers sont plus souvent présentés dans des situations favorables que les seconds.

L’égalité de présence des catégories sociales à la télévision n’est pas une fin en soi. C’est l’ampleur de l’inégalité qui choque. Ce phénomène a un impact sur la construction de l’image des catégories sociales et notamment sur la représentation des intérêts des moins favorisées. Cette déformation du débat influence les politiques publiques, qui, décalées de la réalité sociale, contribuent à nourrir des tensions sociales. Alors que la présence des femmes ou des minorités visibles suscite un débat important, on ne peut que s’étonner du désintérêt médiatique concernant les milieux populaires.

Représentation des catégories sociales à la télévision
Unité : %
Part dans la population
Représentation à la télévision
Artisans, commerçants34
Agriculteurs exploitants11
Cadres, professions intellectuelles libérales, chefs d'entreprise1065
Professions intermédiaires145
Employés158
Ouvriers122
Retraités332
Autres inactifs1213
Ces données sont établies à partir du visionnage des principales chaines de télévision.
Source : Arcom – Données 2021 – © Observatoire des inégalités

Photo / GFDL, via Wikimedia Commons


[2Sur les principales chaines entre 17 h et 23 h en 2021.

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Date de première rédaction le 9 décembre 2011.
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