Analyse

La mixité des métiers progresse, mais bien lentement

La plupart des métiers restent occupés soit par une grande majorité d’hommes, soit principalement par des femmes. Une personne sur cinq seulement exerce un métier « mixte ». La mixité au travail progresse très lentement depuis 35 ans. Une analyse d’Anne Brunner.

Publié le 4 mars 2022

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Emploi Femmes et hommes

Selon l’Insee, 13,9 millions d’emplois sont occupés par des hommes et 13,1 millions par des femmes en 2020 : presque la parité. En revanche, celle-ci est loin d’être atteinte quand on entre dans le détail des métiers. Et l’évolution est particulièrement lente.

Au niveau très général des grandes catégories socioprofessionnelles de l’Insee (les fameuses CSP), le genre joue un rôle important. Les artisans, commerçants et chefs d’entreprise sont trois fois plus souvent des hommes que des femmes, selon l’Insee en 2020. Chez les cadres, on ne compte que 40 % de femmes. Seules les professions intermédiaires sont vraiment mixtes. Dans les métiers d’exécution, la séparation des femmes et des hommes est encore plus manifeste : les emplois d’ouvriers sont exercés à 80 % par des hommes et ceux d’employés, à 75 % par des femmes.

Plus on descend dans le détail des professions, plus on observe d’écarts. De nombreux métiers sont occupés presque exclusivement par des hommes ou par des femmes. On ne trouve que 2 % d’hommes parmi les assistantes maternelles, 4 % parmi les secrétaires, 5 % au sein des aides à domicile ou 9 % chez les aides-soignants. Il n’y a pour ainsi dire pas de femmes parmi les conducteurs d’engins de travaux publics, guère plus chez les ouvriers de la réparation automobile (2 %) et bien d’autres professions.

Pas moins de 70 % des femmes exercent des métiers « féminisés » (c’est-à-dire dans lesquels on trouve au moins 65 % de femmes), selon une étude du ministère du Travail sur des données 2013-2016 [1]. Il s’agit des métiers du soin et de la santé, des services aux particuliers (assistantes maternelles, aides ménagères) et des postes administratifs (secrétaires, employés administratifs, comptables, par exemple. De leur côté, 64 % des hommes exercent des métiers « masculinisés » (dans lesquels on trouve au moins 65 % d’hommes) : des métiers du bâtiment et des travaux publics, du transport (routiers, coursiers), de l’industrie ou de l’informatique en particulier. La mixité (chaque sexe est présent à la hauteur d’au moins 35 %) est bien plus rare. Seuls 18 % des salariés exercent des métiers dits « mixtes » (employés et patrons de l’hôtellerie-restauration, artisans, médecins, représentants commerciaux, etc.).

De lents progrès

L’indice de ségrégation des métiers était de 56 à la fin des années 1980, ce qui veut dire qu’il aurait fallu que 56 % des femmes changent de profession pour que femmes et hommes soient répartis à parité. À partir de la fin des années 1980, cet indice a progressivement diminué jusqu’à 52 en 2011 [2], qui est malheureusement la dernière année publiée par le ministère du Travail.

Cette diminution progressive résulte d’une conjonction d’effets, parfois de sens contraire. D’un côté, la transformation de la structure des emplois a joué en défaveur de la mixité. Certains métiers exercés principalement soit par des femmes (par exemple assistante maternelle), soit par des hommes (comme les métiers de l’informatique) ont fortement progressé en effectifs. De l’autre côté, la mixité s’est accrue à l’intérieur de certains métiers. On compte plus d’hommes parmi les agents d’entretien et les vendeurs qu’au début des années 1980, et plus de femmes cadres dans la banque et l’assurance. Enfin, certains métiers, les cadres des services administratifs et financiers notamment, sont à la fois de plus en plus nombreux et de plus en plus mixtes, ce qui joue doublement en faveur d’un recul de la ségrégation.

Au niveau des catégories sociales, la mixité au bas de l’échelle n’a pas bougé depuis le début des années 1980. Les employés sont toujours à 75 % des employées et les ouvriers à 80 % des ouvriers. En revanche, la part des femmes a doublé de 21 % à 42 % chez les cadres, ce qui constitue une évolution majeure.

Sur les 88 grands types de métiers que répertorie le ministère du Travail, on comptait 16 métiers mixtes en 1982-1984. Il y en a seulement cinq de plus, 35 ans plus tard. Les femmes ont fait leur entrée dans neuf métiers masculinisés. Elles constituent aujourd’hui la moitié des effectifs parmi les médecins, les formateurs, les professionnels du droit, les cadres administratifs et les cadres de la fonction publique. Les dix métiers qui ont connu la plus forte féminisation sont des emplois de cadres ou de techniciens qualifiés.

L’entrée d’hommes dans des métiers féminisés est beaucoup plus marginale : seuls deux métiers essentiellement féminins en 1982-1984 se sont ouverts aux hommes : les employés de l’informatique (où les femmes sont passées de 85 % à 40 % des effectifs) et les ouvriers non qualifiés du textile (de 81 % de femmes à 64 %), un métier dont l’effectif a considérablement diminué. En revanche, certains métiers étaient mixtes dans les années 1980, mais on y trouve moins de 35 % d’hommes aujourd’hui : enseignants, professions paramédicales, techniciens et professions intermédiaires administratifs ou de la banque.

Des stéréotypes persistants

À l’origine de la non-mixité, les facteurs sont nombreux. L’entrée dans un métier est préparée par des choix d’orientation scolaire en partie déterminés par le sexe. La mixité dans chaque filière de l’enseignement professionnel ou supérieur est loin d’être réalisée. Les filles en bac professionnel sont rarissimes dans les filières industrielles. Les écoles d’ingénieurs restent un bastion masculin : les femmes y représentaient 28 % des élèves en 2015-2016, seulement un point de plus que dix ans plus tôt. À l’inverse, les garçons choisissent rarement les CAP-BEP tertiaires, les formations de la santé et du social ou les filières littéraires au lycée et à l’université.

Dès l’enfance, filles et garçons sont élevés de manière différente. Attitude des familles et de la société, jouets, livres pour enfants, un grand nombre d’éléments conduisent les filles et les garçons vers des activités distinctes. Aux femmes, les métiers autour d’un « univers féminin » tel que le pense la société, c’est-à-dire la relation humaine, l’attention aux autres, le social et l’enfance. Aux hommes, ceux dits « masculins » : les métiers qui valorisent la force physique, le travail à l’extérieur, les sciences. Cette répartition des rôles dans la société s’inscrit dans une longue tradition qui assigne des « capacités » et des rôles distincts aux deux sexes.

La pénibilité physique, souvent avancée comme un frein à la mixité, est un argument de moins en moins valable. D’une part parce que la force intervient moins du fait de l’évolution des technologies et en raison de la diminution des emplois les plus durs, de l’autre, parce que les femmes sont nombreuses dans un grand nombre de métiers particulièrement physiques, comme dans l’industrie agroalimentaire.

Au fond, la division du travail reste marquée par des stéréotypes de genre qui persistent dans l’ensemble de la société et qui se construise au fil de la vie des femmes et des hommes, notamment dans leur enfance. Cette séparation en « métiers d’hommes » et « métiers de femmes » contribue à alimenter les inégalités, les métiers féminisés étant souvent marqués par la précarité, le temps partiel subi et les bas salaires. Au bout du compte, si l’écart de salaires entre femmes et hommes persiste, c’est bien, pour une grande part, parce que les hommes continuent à être davantage présents dans les métiers les plus prestigieux et les mieux rémunérés.

Plus de mixité pour la jeune génération
55 % des jeunes exercent des métiers mixtes, selon l’enquête du Céreq réalisée en 2015 auprès de la génération sortie cinq ans plus tôt du système scolaire, contre 47 % dans la génération sortie en 1992. L’indice de ségrégation professionnelle chez les jeunes est passé de 26 à 23 en 18 ans. La mixité progresse, mais à la vitesse de l’escargot… Une partie des métiers se sont ouverts à « l’autre » sexe : les métiers de la sécurité recrutent moins rarement des jeunes femmes, et les supermarchés, des caissiers. Surtout, les métiers industriels, très masculinisés, offrent moins de débouchés qu’à la génération précédente, tandis que les métiers du tertiaire, plus souvent mixtes, ont créé plus d’emplois. Les jeunes diplômées du supérieur ont ainsi rejoint leurs homologues masculins aux postes de cadres. Mais les jeunes sortant du secondaire restent majoritairement embauchés comme ouvriers pour les hommes et comme employées pour les femmes.
Évolution de la mixité des métiers
Unité : nombre de métiers
1982-1984
2017-2019
Évolution
Métiers mixtes1621+ 5
Métiers à prédominance masculine5345- 8
Métiers à prédominance féminine1722+ 5
Ensemble8688+ 2
Lecture : en 2017-2019, 45 métiers sont à prédominance masculine, c'est-à-dire qu'ils emploient plus de 65 % d'hommes.
Source : ministères du Travail, calculs de l'Observatoire des inégalités – © Observatoire des inégalités
Les dix métiers qui se sont le plus féminisés
Part des femmes
en 1982-1984
Part des femmes
en 2017-2019
Évolution
Cadres de la banque et des assurances17,048,4+ 31,4
Professionnels du droit (hors juristes en entreprise)24,055,1+ 31,0
Cadres des services administratifs, comptables et financiers21,652,5+ 30,9
Techniciens de la banque et des assurances39,868,1+ 28,4
Techniciens des services administratifs, comptables et financiers45,773,7+ 28,1
Cadres de la fonction publique (catégorie A et assimilés)23,451,2+ 27,8
Techniciens et cadres de l'agriculture5,730,9+ 25,2
Ingénieurs et cadres techniques de l'industrie3,126,8+ 23,7
Cadres commerciaux et technico-commerciaux9,232,4+ 23,2
Cadres des transports, de la logistique et navigants de l'aviation5,928,7+ 22,7
Lecture : la part des femmes parmi les cadres de la banque et des assurances est passée de 17 % en 1982-1984 à 48,4 % en 2017-2019.
Source : ministère du Travail – © Observatoire des inégalités

Photo / © iStock, hispanolistic


[1« Temps partiel et ségrégation professionnelle femmes-hommes : une affaire individuelle ou de contexte professionnel ? », Karine Briard, Revue Travail et emploi n° 161, ministère du Travail, mars 2021.

[2« La répartition des hommes et des femmes par métier. Une baisse de la ségrégation depuis 30 ans », Dares analyses n° 079, décembre 2013.

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Date de première rédaction le 7 mars 2014.
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