Comment rendre le système de retraite moins inégalitaire ? Six principes de base
Réformer les régimes des retraites n’est pas une mauvaise chose, s’il s’agit de rendre le système plus juste. Voici les six grands principes à prendre en compte pour atteindre cet objectif. L’analyse de Noam Leandri et Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités.
Publié le 16 février 2023
https://inegalites.fr/Comment-rendre-le-systeme-de-retraite-moins-inegalitaire-Six-principes-de-base - Reproduction interditeLes retraites pèsent lourd dans l’économie française, environ 350 milliards d’euros. Réformer le système peut avoir du bon si on le rend plus efficace, mais aussi plus juste (lire aussi notre analyse « Le projet de réforme est-il injuste ? »). Pour cela, six principes de base sont à considérer.
Premier principe : l’existence d’une pension minimale
Selon notre Constitution (article 11 du préambule de la Constitution de 1946), la société « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Un système de retraite doit donc permettre aux personnes âgées de vivre dignement. Les personnes de plus de 65 ans peuvent ainsi compter sur ce que l’on appelle le minimum vieillesse. Il leur est versé, qu’ils aient cotisé ou non, en prenant en compte les ressources de l’ensemble de leur ménage, conjoint compris. Ce mécanisme de solidarité ne fait pas partie, à proprement parler, des régimes de retraite qui fonctionnent sur le mode de l’assurance, selon ce que les actifs cotisent. Le minimum vieillesse concerne surtout ceux qui n’ont pas, ou très peu, cotisé à l’assurance retraite.
Le système de retraite prévoit une pension minimale. La retraite de base du régime général de la Sécurité sociale est d’au moins 750 euros par mois pour une carrière complète. Il faut lui ajouter la pension du régime de retraite complémentaire. Cette pension minimale est accessible dès 62 ans, quel que soit le revenu du conjoint, pour ceux qui ont suffisamment cotisé et qui n’ont eu qu’un très faible salaire toute leur vie. Elle s’élève à environ 1 100 euros mensuels dans le privé. Dans le public, elle atteint 1 200 euros.
Comment rendre le système plus juste ?
1 100 euros par mois sont-ils suffisants comme revenu minimum pour une personne âgée ? Pour les personnes qui ont cotisé toute leur vie, la réforme gouvernementale en cours prévoit d’augmenter la retraite (régime général et complémentaire) minimale mensuelle de 1 100 à 1 200 euros si elles ont effectué une carrière complète à temps plein au smic (soit 85 % du smic net). Ce cas est extrêmement rare. La plupart des retraités aux toutes petites retraites ne toucheront qu’une fraction de ces 100 euros supplémentaires.
Est-il juste que les personnes âgées vivent avec un revenu aussi faible ? Pour celles qui ont perçu toute leur vie des bas salaires et n’ont pas eu les moyens de devenir propriétaires, le reste à vivre après avoir payé leur loyer est extrêmement réduit. On pourrait imaginer que le niveau du smic reste un minimum tout au long de la vie.
Mais alors, il devient indispensable de débattre de l’ensemble des mécanismes de solidarité et des inégalités entre personnes âgées et personnes d’âge actif. À quel titre augmenter le minimum pour les retraités et pas pour les autres ? Le RSA est tout juste supérieur à 520 euros par mois, soit presque deux fois moins que le minimum vieillesse.
Deuxième principe : l’égalité des règles de calcul
Dans le secteur privé, la retraite de base correspond à 50 % du salaire (dans la limite d’un plafond) des 25 meilleures années travaillées. S’y ajoute une retraite complémentaire. Dans le public, on conserve 75 % de son traitement de base (hors primes) des six derniers mois d’activité, avec un régime complémentaire de moindre ampleur que dans le privé. Il serait juste que tout le monde soit logé à la même enseigne. Par ailleurs, notre système de retraite comprend un régime général et une vingtaine de régimes dits « spéciaux » (EDF, RATP, SNCF, etc.), avec des modalités très inégales, notamment concernant l’âge de départ à la retraite, et parfois très favorables pour certaines catégories de salariés.
Comment rendre le système plus juste ?
La fusion du régime général et de celui des retraites publiques, souvent évoquée, est particulièrement complexe. Le système le plus juste doit porter sur les salaires versés sur une durée assez longue, car les écarts de salaire sont plus élevés en fin de carrière (voir point suivant). Pour une partie des régimes spéciaux, il s’agit d’avantages historiques qui ne sont plus liés à la dureté des conditions de travail. Ils devraient être supprimés, à condition que la pénibilité réelle soit effectivement mesurée et prise en compte dans tous les métiers (voir quatrième principe).
Troisième principe : réduire les inégalités entre les niveaux de pension
Les inégalités de pension de retraite reflètent celles du monde du travail. Plus on prend en compte les dernières années de la carrière, plus les écarts sont grands. Les inégalités de salaire augmentent au fil de la carrière. Chez les moins de 30 ans, l’écart de salaire entre cadres et employés est de 1 100 euros par mois. Pour les 60 ans et plus, il atteint 4 000 euros. Chez les fonctionnaires, la retraite est calculée sur les seuls six derniers mois d’activité, période où leur salaire est au plus haut : elle reflète donc les inégalités de traitement élevées en fin de carrière et ne reflètent pas l’effort de cotisation au long de la vie.
Les cotisations [1] retraite sont plafonnées. Si l’on prend le régime de base du privé, on cotise tant que son salaire brut mensuel ne dépasse pas 3 430 euros. Sur la fraction de salaire qui dépasse ce plafond, on ne cotise pas [2] et on n’obtient pas non plus de droits supplémentaires. La retraite de base est plafonnée à 1 830 euros par mois, ce qui limite les écarts. Mais en ajoutant les régimes de retraite complémentaires, on peut cotiser jusqu’à 27 000 euros de salaire mensuel (324 000 euros par an). Au final, les pensions totales sont limitées à environ 12 000 euros par mois dans le privé à taux plein. Un niveau très élevé et très rare : il correspond au 1 % des salariés les plus favorisés.
Comment rendre le système plus juste ?
Les inégalités de pension de retraite reflètent celles des salaires : c’est là qu’il faut agir ainsi que sur le temps partiel subi. Cela n’empêche pas d’imaginer un système doté d’un taux de remplacement (le taux appliqué au salaire pour calculer sa retraite, voir encadré) qui diminuerait pour les revenus les plus élevés. On pourrait aussi mettre en place une cotisation retraite dont le taux augmente en fonction du niveau de salaire, comme c’est déjà le cas pour la contribution sociale généralisée (CSG).
Prendre en compte une période de cotisation plus longue défavoriserait les cadres qui ont une plus grande variation de leurs salaires entre le début et la fin de leur vie active. Cela pénaliserait aussi les chômeurs, ceux qui restent longtemps inactifs ou très précaires (souvent des femmes) car les années sans activité professionnelle ou avec une faible indemnisation chômage sont prises en compte mais n’apportent rien ou pas grand-chose en matière de retraite. Il est juste de ne pas considérer une partie des années les moins favorables d’une carrière. Mais il n’est pas simple de déterminer le nombre d’années à prendre en compte. On pourrait, par exemple, ne pas prendre en considération la moitié des années les moins bien rémunérées.
Quatrième principe : l’égalité des durées passées à la retraite
À 35 ans, un homme ouvrier peut espérer vivre jusqu’à 78 ans, tandis qu’un cadre peut compter sur 84 ans. Si les deux partent à la retraite à 62 ans, le second vivra en moyenne six ans de plus à la retraite, presque 40 % de plus qu’un ouvrier. En outre, les moins qualifiés ont généralement commencé à travailler plus tôt que les cadres. La fixation d’un âge unique de départ à la retraite désavantage celles et ceux qui ont occupé des métiers pénibles. Cette inégalité est partiellement compensée pour les personnes qui ont commencé à travailler très jeunes grâce aux dispositifs « carrières longues » qui permettent de partir plus tôt pour ceux qui ont assez cotisé.
Certains régimes spéciaux disposent d’un âge de départ plus faible : les fonctionnaires qui exercent des métiers dit en « catégorie active », comme les policiers ou les contrôleurs aériens, peuvent partir à partir de 52 ans. Dans les entreprises électriques ou gazières, les salariés en service actif peuvent partir à partir de 57 ans. Ceci avec un système de décote en fonction de leur durée de cotisation.
Comment rendre le système plus juste ?
Se fonder sur la seule durée de cotisation semble plus juste. Ceux qui commencent plus tôt partent les premiers. Comme l’espérance de vie des métiers les moins qualifiés est moindre, cela réduit les inégalités de temps passé à la retraite. Pour autant, on aura toujours besoin de garder un âge maximum pour bénéficier du taux plein (l’âge dit « d’annulation de la décote », 67 ans) sinon certains devraient travailler jusqu’à 80 ans s’ils ont commencé très tard ou interrompu leur carrière. Il faut aussi un âge de départ « possible » pour ceux qui n’ont pas assez cotisé mais qui se sentent trop usés par le travail ou choisissent d’avoir une pension de retraite plus faible [3]. Ceux qui ont cotisé la durée fixée doivent pouvoir partir avant cet âge.
Le sujet central est d’adapter l’âge de la retraite à la dureté du travail. Ceux qui partent le plus tôt ne sont pas toujours ceux qui travaillent le plus dur. Il existe un « compte de pénibilité » depuis 2016. Le précédent gouvernement a supprimé en 2017 certains des critères de pénibilité qui autorisent un départ à la retraite précoce. L’exposition aux postures pénibles, aux vibrations mécaniques, aux risques chimiques et le port de charges lourdes ne sont plus pris en compte. Mesurer la pénibilité n’est pas simple. Il faut se fonder sur des critères objectifs liés aux conditions de travail : fortes contraintes physiques, travail de nuit, horaires variables, etc.
Il faut pouvoir en faire bénéficier les générations qui ont travaillé bien avant la date de la création du compte de pénibilité et l’appliquer rétrospectivement. Il faudrait enfin se poser une question rarement évoquée : est-il juste d’imposer un même critère de pénibilité à des individus de force physique inégale ? L’égalité n’est pas forcément juste dans ce domaine, notamment pour les femmes.
Cinquième principe : l’égalité entre les générations
Dans un régime par répartition comme le nôtre, les actifs cotisent pour ceux qui sont à la retraite. Les générations récentes financent les revenus des générations anciennes : c’est une solidarité permanente entre les générations. Le salaire net dépend du taux de cotisation prélevé sur le bulletin de paie pour alimenter les caisses de retraite. Pour les retraités, l’important, c’est le taux de remplacement (la proportion touchée par rapport à leur ancien salaire). Plus ce taux est élevé, plus leur niveau de vie l’est aussi. Le débat sur les retraites dépend toujours de l’idée que se fait la société du niveau de vie des plus âgés par rapport aux actifs, façonnée par le poids des différentes classes d’âge dans le débat à travers les médias.
Il y a un choix à faire entre les âges : est-ce que l’on favorise les actifs (moins de cotisations) ou les retraités (pensions plus élevées) ? En théorie, la question de l’équilibre entre générations ne se pose pas puisqu’au bout d’une vie, on aura été tour à tour celui qui cotise puis celui qui reçoit une retraite.
En réalité, la société change : la baisse de la fécondité et l’allongement de la durée de vie font que le rapport entre le nombre de retraités et de cotisants augmente. Il faut s’y adapter. C’est l’un des points essentiels du blocage aujourd’hui : quand on fait une réforme, on change les règles en cours de route. On donne le sentiment aux actifs qu’ils paient davantage pour financer des longues périodes de retraites des générations précédentes.
Enfin, en pratique, le montant des retraites augmente moins vite que les salaires. Le niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs diminue. La perte touche plus durement les petites retraites.
Comment rendre le système plus juste ?
La réforme en cours fait peser l’effort sur les seuls adultes en âge de travailler en allongeant leur durée de cotisation. Il semblerait plus juste de répartir l’effort aussi sur les retraités, à condition qu’il soit modulé en fonction de leur niveau de vie, qu’il ne s’applique pas aux plus petites retraites notamment. Celles-ci augmentent déjà moins vite que celles des actifs, comme on l’a vu.
Sixième principe : l’égalité entre femmes et hommes
Les pensions de retraite des femmes sont en moyenne inférieures de plus de 40 % à celles des hommes. La raison : les métiers féminins sont souvent moins bien rémunérés. Cette situation est aussi la conséquence du temps partiel et des périodes d’inactivité car les femmes prennent le plus souvent en charge le travail domestique, en particulier les enfants. C’est aussi pour cela qu’une mère salariée du privé bénéficie de deux années de cotisations retraite par enfant. En revanche, les femmes ont l’avantage de vivre plus longtemps (l’écart d’espérance de vie est d’environ six années pour les générations qui naissent aujourd’hui). De ce fait, elles perçoivent des pensions pendant une durée plus importante.
Comment rendre le système plus juste ?
Il faut surtout agir sur les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Il faudrait limiter le temps partiel subi [4] dans les entreprises et, par exemple, développer l’accueil des jeunes enfants, une condition importante de l’équilibre des tâches domestiques et de l’activité féminine. Un travail de longue haleine. Il faut aussi prendre davantage en compte les critères de pénibilité physique des métiers peu qualifiés en croissance, où les femmes sont les plus représentées.
En conclusion
Rendre plus justes les régimes de retraite est possible, même s’il ne faut pas en minimiser la complexité. Globalement, il faudrait commencer par corriger les inégalités de salaires, dans le public comme dans le privé. S’attaquer aux bas salaires, à la précarité et au chômage. Ensuite, il faudrait que le système repose moins sur les âges de départ que sur les durées de cotisation. Enfin, le débat devrait surtout porter sur la prise en compte de la pénibilité au cours de l’ensemble d’une carrière, y compris pour les générations qui n’ont pas disposé pendant des années de compte pénibilité.
Noam Leandri et Louis Maurin
Les cinq éléments essentiels à prendre en compte |
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1- la durée de cotisation : période de cotisation nécessaire pour atteindre le taux plein. Aujourd’hui, cette durée doit atteindre progressivement 43 ans pour les générations nées après 1973. La réforme en débat prévoit que ce soit à partir de la génération 1965. 2- l’âge de départ légal (62 ans) : âge à partir duquel vous avez le droit de partir à la retraite. Ceux qui n’ont pas cotisé assez longtemps voient leur retraite diminuée (ce que l’on appelle une décote). La réforme propose de faire passer cet âge à 64 ans. 3- l’âge de départ à taux plein ou « d’annulation de la décote » (67 ans). À cet âge, la retraite est calculée au maximum (le « taux plein ») même si vous n’avez pas assez cotisé durant votre carrière professionnelle. La réforme actuelle n’y change rien. 4- le taux dit de « remplacement » : ce que représente votre pension de retraite par rapport à vos anciens salaires. Ce taux s’applique selon des bases différentes : les 25 meilleures années de salaires dans le privé, les six derniers mois dans le public. 5- le taux de cotisation : la part du salaire versée pour financer les pensions des retraités. |
Répartition ou capitalisation, quelle est la différence ? |
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En France, le système de retraite est dit « par répartition » : les personnes qui travaillent paient pour les retraités. Il repose sur la solidarité entre les générations : les plus jeunes financent les pensions des plus âgés et, devenus âgés, ils reçoivent à leur tour des plus jeunes. D’autres systèmes [5] fonctionnent par « capitalisation » : chacun met de côté et reçoit, à sa retraite, le capital épargné et les revenus qu’il a produits. Ce second système est inégalitaire (le montant de la retraite dépend de la capacité d’épargne, donc du salaire) et aléatoire (il dépend des placements financiers parfois très risqués). En France, le débat ne porte plus vraiment sur le choix entre ces deux systèmes, mais sur la manière de réformer le mécanisme de répartition. Ce qui n’empêche que les catégories aisées, en épargnant (en devenant propriétaires de leur logement en particulier), préparent aussi leur retraite. |
[1] Chaque salarié cotise chaque mois pour sa retraite.
[2] Sauf une cotisation de solidarité de 0,4 % pour la part salariale. Les retraites complémentaires fonctionnent différemment.
[3] Un débat important mais complexe devrait porter sur l’ampleur de la décote pour ceux qui choisissent de s’arrêter plus tôt.
[4] Temps partiel occupé par défaut alors qu’on souhaite travailler à temps plein.
[5] La plupart sont mixtes.
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