Point de vue

Déficit public : il est temps de mettre fin au bal des démagogues

Face à la dette, s’obstiner dans la démagogie actuelle ne peut aboutir qu’à ruiner notre pays ou à dépecer notre modèle social. Contrairement à ce que tout le monde pense, celui ou celle qui affichera l’importance d’un effort collectif pourrait très bien y gagner, affirme Louis Maurin de l’Observatoire des inégalités. Extrait du quotidien Libération.

Publié le 26 avril 2024

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La France compte 3 000 milliards d’euros de dette, et son déficit dépasse 5 % de la richesse produite en une année. Chaque année, nous dépensons plus de 50 milliards d’intérêts, l’équivalent de 80 % du budget de l’Éducation nationale, à payer nos créanciers. La hausse des taux d’intérêt a au moins eu un mérite : vu le coût des emprunts, ceux qui songent à s’endetter à l’infini ne sont plus nombreux. Un large accord existe sur la nécessité de régler l’addition. Il n’existe que deux solutions pour cela : baisser les dépenses ou augmenter les recettes. Réduire les dépenses semble plus indolore, car en apparence on ne touche pas au porte-monnaie des Français. Encore faudrait-il expliquer aux Français de quoi on parle concrètement.

Ces dépenses publiques, ce sont essentiellement deux choses. D’une part, des salaires des 5,7 millions d’agents de la fonction publique. Dans ce cas, il faut dire qui sont les inutiles et qui seront les licenciés : des enseignants, des militaires, des policiers, des personnels hospitaliers, des agents communaux ? D’autre part, des prestations sociales. Que va-t-on réduire : des retraites ou des remboursements de soin, deux domaines qui représentent 80 % des dépenses de protection sociale ? Des allocations familiales, des allocations logement ou des minima sociaux ? La dépense de la collectivité est alors un revenu différé : la diminuer est exactement la même chose que créer un impôt sur les personnes âgées, les malades, les familles ou les pauvres. Les dépensophobes doivent s’exprimer plus clairement.

L’argent public ne supporte pas le gaspillage

L’argent public est un bien collectif qui ne supporte pas le gaspillage. Des économies sont possibles en supprimant une partie des niches fiscales (qui sont bien des « dépenses fiscales ») inutiles ou en rendant les administrations plus efficaces. Mais il n’est pas possible de piocher dans les dépenses de quoi réduire le déficit de manière importante sauf à mettre en cause notre modèle social.

Ce qui différencie la France des autres pays riches, en matière de dépenses, c’est que nos retraites sont publiques, financées par les prélèvements obligatoires. Les autres pays dépensent autant par le biais du privé. Pour le reste, notre défense nous coûte plus cher, nous avons des écoles maternelles gratuites, des hôpitaux modernes, nous aidons beaucoup les entreprises… La belle affaire. Souhaite-t-on s’aligner sur nos voisins dans ces domaines ? Alors il faut le dire.

Régler l’addition passe par une hausse des impôts. Si on n’en prend pas le chemin, c’est uniquement que la démagogie règne en politique. La droite, pourtant autrefois garante de l’équilibre des comptes, est totalement aveuglée et prétend même encore vouloir réduire les prélèvements. La gauche, incapable de penser la redistribution, voudrait s’en tenir à taxer un minuscule nombre d’ultra-riches. À 99 % contre 1 %, presque tout le monde gagne. C’est surtout une bonne affaire pour les classes aisées.

Ce bal des démagogues est le résultat d’une intoxication aux sondages. D’une classe politique qui, comme l’a bien décrit Giuliano Da Empoli dans les Ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019) à propos de l’Italie, mais qui s’applique autant en France, ne pense plus en termes de valeurs mais de ce que semble lui réclamer l’électeur dans les enquêtes. Aucune baisse d’impôt n’a jamais rendu populaire, mais des décennies de cadeaux ont alimenté l’épargne des classes aisées, les déficits et notre dette.

Chaque année, la France perd 20 milliards d’euros du fait de la seule suppression de la taxe d’habitation : l’équivalent de deux fois le budget de la police nationale. Nos élus, envoûtés par les sondeurs, ne comprennent pas que ces enquêtes n’ont qu’une valeur insignifiante, et qu’un électeur n’attend pas du politique qu’il le brosse dans le sens du poil de la réponse qu’il donne sur Internet à la va-vite. Que leur crédit auprès des électeurs réside d’abord dans les valeurs qu’ils promeuvent.

Contrairement à ce que tout le monde pense, celui ou celle qui affichera clairement l’importance d’un effort collectif pourrait très bien, au contraire, y gagner. Pour cela, il faut répondre à deux conditions. Premièrement, expliciter le bénéfice pour la collectivité : en quoi l’école, la santé ou la sécurité en sortiront renforcées. Secondement, que chacun paie, comme le veut notre Constitution, en fonction de ses « capacités contributives ». Il est juste que tous ceux qui le peuvent mettent la main au porte-monnaie, même si c’est de manière modeste. C’est ce qui fonde la légitimité de la redistribution.

Augmenter la CSG

On doit retoucher notre système en revenant à une imposition progressive des revenus du patrimoine, ou en prélevant davantage les classes les plus aisées par le biais de l’impôt sur le revenu. Pour autant, seule une large contribution peut sauver les services publics et répondre au critère de justice fiscale. Il n’existe aujourd’hui que deux outils pour cela : la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la contribution sociale généralisée (CSG).

La première est injuste : proportionnelle à la consommation, elle épargne les épargnants, les plus aisés. Seule la CSG peut pour nous sortir de nos difficultés. Pour qu’une hausse soit juste, il faut qu’elle soit progressive par le biais d’un abattement à la base et d’un système à plusieurs taux en fonction des revenus, comme cela existe déjà pour les retraites. Un seul point de CSG représente 25 euros mensuels sur un salaire moyen, mais 15 milliards d’euros de recettes pour la collectivité… L’impact du nouveau prélèvement sur l’activité économique serait bien moindre que celui d’une baisse de dépense.

S’obstiner dans la démagogie actuelle ne peut qu’aboutir soit à ruiner notre pays, soit à tailler en pièces notre modèle social. Il est impératif de retrouver le sens de l’effort. Pour cela, il faut que nos élus retrouvent le chemin d’un débat serein, avec des programmes reposant sur des valeurs et non sur la croyance magique des enquêtes d’opinion.

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités. Il est l’auteur de Encore plus. Enquête sur les privilégiés qui n’en ont jamais assez, Plon, 2021.

Cet article a été publié par le quotidien Libération le 23 avril 2024

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Date de première rédaction le 26 avril 2024.
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