Classes populaires, moyennes et « aisées » : de quoi parle-t-on ?
« Catégories populaires », « classes moyennes » et « catégories favorisées » : ces termes reviennent sans cesse dans le débat public, mais on prend rarement la peine de les expliquer. Les définitions de l’Observatoire des inégalités.
Publié le 5 octobre 2023
https://inegalites.fr/Classes-populaires-moyennes-et-aisees-de-quoi-parle-t-on - Reproduction interditeQui appartient aux classes populaires, moyennes ou aisées ? Ces termes sont utilisés en permanence dans le débat public, mais souvent dans une grande confusion car aucune définition officielle n’existe. Essayons d’y voir plus clair.
Commençons par les mots. Doit-on parler de « groupe », de « milieu », de « catégorie » ou de « classe » sociale ? Une partie de ces termes font référence à des définitions précises. Par exemple, les « classes sociales » renvoient à la définition du philosophe allemand Karl Marx pour qui le clivage central séparait – en simplifiant grossièrement – ceux qui détenaient les entreprises (les capitalistes) et ceux qui leur vendaient leur force de travail (les prolétaires). L’expression « catégories sociales » fait en général référence à la terminologie des « professions et catégories socioprofessionnelles [1] » de l’Insee, dont on utilise encore souvent l’ancien acronyme les « CSP » : on rassemble les professions par grands groupes de métiers semblables.
Ces expressions sont souvent utilisées comme synonymes. La grande majorité des commentateurs qui parlent de « classes populaires » ou « moyennes » ne sont pas marxistes, et on peut très bien parler de « catégorie sociale » sans se référer explicitement à l’Insee. Ne nous perdons pas dans les détails [2] : ce qui compte, c’est la position des personnes dans une hiérarchie sociale.
Pour déterminer cette hiérarchie, on peut employer une première méthode qui consiste à partir des professions exercées, qui définissent un statut social. Celui-ci est composé d’un grand nombre de facteurs comme les revenus, mais aussi le niveau de diplôme, de responsabilité, etc. Le classement (on parle de « nomenclature ») le plus connu est celui des CSP de l’Insee, qui existe depuis 1954 : il rassemble au niveau le plus agrégé les professions en six grands groupes aux caractéristiques communes.
Cette nomenclature comprend tout en haut les cadres supérieurs, ceux qui décident ; au milieu, les professions intermédiaires ; et, en bas, les ouvriers et les employés, qui sont les exécutants. Les agriculteurs exploitants et les autres indépendants (commerçants, artisans, chefs d’entreprise) sont à part. Les chômeurs sont classés dans leur ancienne profession, les retraités dans le groupe qui correspond à leur ancienne activité, les enfants avec leur parents, les conjoints qui ne travaillent pas avec celui ou celle qui travaille [3].
Attention : l’Insee ne regroupe pas les CSP en catégories « populaires », « moyennes » et « supérieures ». Mais les sociologues qualifient le plus souvent dans leurs travaux de « populaires » les catégories employés et ouvriers, de « moyennes » les professions intermédiaires (que l’on a longtemps appelées « cadres moyens ») ainsi qu’une partie des cadres supérieurs, et de « supérieures », l’autre partie de cette dernière catégorie [4]. Les non-salariés sont répartis dans ces trois grands groupes.
Cet outil permet de décrire la société, de la consommation à l’école en passant par les loisirs, en fonction de milieux sociaux relativement homogènes. La plupart des études scientifiques, notamment en sociologie, utilisent ce découpage très élaboré et débattu régulièrement au sein des instances statistiques publiques. L’Insee en a d’ailleurs présenté une méthode rénovée en 2020 « pour mieux décrire la société actuelle » [5] .
Pourtant, ce n’est pas le découpage le plus utilisé dans le débat public. Pour beaucoup, ce qui compte pour définir la hiérarchie, c’est le revenu. Ce qui est assez logique dans notre société marchande. C’est plus réducteur que de se référer aux statuts des professions, mais aussi plus facile à comprendre. En haut, les riches, en bas, les pauvres, au milieu, les moyens. Sauf qu’aucune institution n’a jamais vraiment déterminé une norme en la matière.
L’Observatoire des inégalités essaie de clarifier cette situation pour que l’on puisse débattre avec des critères précis et identiques. Notre définition, qui se base sur les revenus, propose ce découpage :
- les classes « populaires » comprennent les 30 % aux plus bas revenus ;
- les classes « moyennes » incluent ceux dont les revenus se situent entre les 30 % les plus bas et les 20 % les plus élevés ;
- les classes « aisées », les 20 % aux revenus supérieurs.
Ces critères, discutables, servent à organiser le débat et, par exemple, à éviter d’appeler « moyennes » des personnes dont les revenus sont parmi les 10 % les plus élevés et qui n’ont donc rien à voir avec la « moyenne ». Le découpage des catégories, qui parait technique, a en réalité une portée politique. L’inconvénient d’utiliser les revenus, c’est que cela ne dit pas grand-chose du statut social des personnes. Par exemple, un jeune cadre supérieur peut avoir un salaire qui ne le situe pas parmi les mieux rémunérés, mais dispose d’une position particulière dans la hiérarchie sociale.
Si l’on veut comprendre comment se structure en profondeur la société française, passer par les professions est la méthode la plus pertinente. Parce qu’au fond elle nous parle de hiérarchie sociale dans son ensemble et du pouvoir qu’ont certains groupes sur les autres [6]. Si l’on s’intéresse uniquement à la hiérarchie monétaire, alors on peut se contenter d’un classement fondé sur les niveaux de vie. L’important est de comprendre comment sont construits les outils que l’on utilise, leur portée comme leurs limites.
Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
Photo / CC Sam Moghadam Khamseh
[1] Plus exactement les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) depuis 1982, mais le terme CSP est resté.
[2] Ce qui n’empêche pas de rester attentifs aux mots employés. L’expression « classes moyennes supérieures » désignent par exemple en réalité le plus souvent des classes aisées en terme de revenus.
[3] Restent les personnes seules qui n’ont jamais travaillé, mais cela ne représente qu’un petit nombre.
[4] Pour un exercice de classement en grandes catégories des CSP, voir « Des classes moyennes toujours en progression », Centre d’observation de la société, 27 mars 2023.
[5] « Une nomenclature socioprofessionnelle rénovée pour mieux décrire la société actuelle », Thomas Amossé, Olivier Chardon, in Emploi, chômage, revenus du travail, Insee Références, Insee, 2020.
[6] Pour aller plus loin, voir par exemple l’ouvrage récent : Classe, Étienne Penissat, éd. Anamosa, août 2023.
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