Analyse

Comment les maires peuvent réduire les inégalités

Les marges de manœuvre des maires sont réduites en matière de redistribution des revenus. Pourtant, du logement à la petite enfance, leur action a un impact essentiel sur les inégalités. L’analyse de Noam Leandri et Louis Maurin de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 9 mars 2020

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Les communes fournissent un ensemble de services publics de base indispensables à leurs habitants : entretien des écoles, de la voirie, gestion de l’état civil, etc. Elles vont bien au-delà – parfois en agissant à un niveau intercommunal [1] – et disposent de nombreux instruments d’action pour améliorer la qualité de vie et réduire les inégalités dans des domaines essentiels. Les maires ont de quoi mener des politiques ambitieuses dans ce domaine. Encore faut-il qu’ils s’en saisissent.


1- Des services pour tous ?

L’organisation d’activités périscolaires et de loisirs en général par les mairies permet aux plus jeunes des familles modestes d’accéder à des services qui leur seraient hors de portée s’ils devaient en payer le véritable prix. La qualité de ces services est déterminante dans la vie des enfants. Le soutien aux maisons de quartiers ou de la jeunesse et aux associations qui travaillent avec les jeunes constitue un élément clé de ce dispositif.

À l’autre bout de la chaîne des âges, l’hébergement et les activités proposées (souvent via le centre communal d’action sociale) aux personnes âgées a la même fonction : elle permet aux plus modestes d’accéder à des services inaccessibles sinon. Le vieillissement de la population va rendre cette fonction encore plus importante dans les années qui viennent. Si cette activité est laissée aux entreprises, les inégalités entre personnes âgées seront accrues, les plus modestes en étant écartées. Les options politiques prises par les maires [2] dans les années qui viennent auront un impact énorme pour les personnes en perte d’autonomie.

La manière dont est organisée l’offre culturelle (médiathèques, école de musique, salles de spectacles, etc.) a des conséquences directes dans la démocratisation de l’accès la culture. Malheureusement l’action municipale se contente en France le plus souvent de subventionner les établissements culturels avec de faibles contraintes concernant le public reçu. Le pilotage de ces institutions est souvent laissé à des professionnels peu sensibles à leur ouverture sociale. Ces services sont le plus souvent sur-utilisés par les plus diplômés [3] car l’offre leur est destinée. Le cas le plus typique est représenté par les « conservatoires » de musique destinés à une élite.

L’existence d’un réseau de transports en commun de qualité est peu important pour ceux qui ont les moyens d’avoir recours à la voiture, mais essentiel pour les plus modestes. Les horaires, la desserte des quartiers, les tarifs ont un impact direct sur la capacité de déplacement pour se rendre au travail ou accéder aux services éloignés. Faut-il mettre de l’argent dans la qualité (la fréquence et le nombre de lignes) ou pour réduire le prix (la gratuité par exemple, voir ci-dessous) dans les transports en commun : le débat promet d’être intéressant.

Enfin, la politique de la petite enfance joue à un double niveau. Le soutien par les communes à l’accueil des jeunes enfants est d’abord un élément qui a un impact sur développement de l’enfant lui-même. La qualité du service détermine la qualité des premières années de la vie. En même temps, la possibilité d’avoir accès à un mode de garde pour un coût modeste rend moins difficile l’activité professionnelle des femmes, et, partant, réduit les inégalités entre les femmes et les hommes.

2- Quels prix pratiquer ?

L’accès à ces équipements dépend d’abord des prix pratiqués. Certaines communes tiennent compte des ressources du foyer (par exemple, pour la cantine, les transports, le sport, etc). D’autres accordent des réductions en fonction d’un statut (demandeur d’emploi, allocataire de minima social, personne âgée). Une partie des services ou équipements sont gérés directement par les mairies, d’autres sont délégués au secteur privé. En matière d’inégalités, tout dépend alors des règles concernant les tarifs (niveau du prix, existence de tarifs sociaux, etc.) qui sont imposées (ou non) à l’entreprise qui mettra en œuvre le service.

Ces politiques tarifaires sont très inégales selon les maires. L’un des thèmes d’actualité dans le débat est la tarification des transports en commun, et une éventuelle gratuité. Dans le même domaine, on pourrait s’interroger sur la gratuité des cantines scolaires : pourquoi l’enseignement primaire est-il gratuit mais pas le repas qui est pris au sein de l’école ? Tout est question de choix : les finances des communes sont limitées. Si le « tout gratuit » conduit à réduire d’autres services municipaux, le bilan n’est pas forcément positif en matière d’inégalités.

3- Logements et urbanisme : un pilier

La politique locale du logement permet aux plus démunis d’accéder à des conditions dignes d’habitat et organise la répartition des catégories sociales sur le territoire. En 2016, le quota de 20 % de logement sociaux imposé par la loi dans les grandes villes ou agglomérations n’était respecté que par la moitié des villes assujetties [4]. Un grand nombre de maires ont refusé l’arrive de catégories populaires sur leur territoire, quitte parfois à payer des pénalités.

La politique du logement social est confrontée à un dilemme. Elle doit à la fois loger les plus pauvres et éviter que ne se constituent des enclaves où la pauvreté est concentrée. L’urgence sociale et la mixité ne sont pas faciles à mettre en œuvre conjointement dans un parc où le logement social est souvent concentré dans des quartiers bien délimités de la commune.

La qualité des logements et de leur environnement compte autant que leur nombre. Dans certaines communes, les logements sociaux ne correspondent plus aux normes d’habitation : dégradés, éloignés de toutes activités, mal desservis par les transports, etc. Certains se retrouvent ainsi inoccupés.

Au-delà du logement social, les plans d’urbanisme édictés par les communes favorisent l’implantation d’activités et de services dans les quartiers d’habitation et ont un impact sur la ségrégation spatiale. Dans les plus grandes villes surtout, le choix de tel ou tel quartier pour construire une bibliothèque, une crèche ou une piscine aura un impact sur le public qui s’y rendra. La mixité sociale dépend pour beaucoup de la mixité « fonctionnelle » qui relève de l’urbanisme (emplois, commerces, culture, loisirs, écoles, transports, etc.) plus que du seul logement.

4- Action sociale : l’urgence pour les plus modestes

Les dépenses d’action sociale des communes, menées principalement par les centres communaux d’action sociale (CCAS), atteignaient plus de 9 milliards d’euros en 2018 [5]. Une goutte d’eau dans l’ensemble des prestations sociales au niveau national (environ 600 milliards d’euros) mais ce sont des dépenses libres, non contraintes par des prestations obligatoires nationales (comme les allocations logement ou familiales), qui peuvent être adaptées aux besoins spécifiques des habitants de la commune. Pour les plus démunis, le CCAS est souvent l’ultime recours avant la rue.

Les CCAS sont plus ou moins engagés dans la lutte contre les inégalités, mais beaucoup favorisent l’accès aux droits sociaux des personnes vulnérables, handicapées ou âgées en les aidant à monter leurs dossiers de demande de prestation auprès des caisses d’allocations familiales, par exemple. Ils gèrent aussi parfois des équipements et services destinés à la petite enfance, notamment les crèches, les haltes-garderies ou encore les centres aérés. Les CCAS gèrent 40 % des établissements d’hébergement des personnes âgées : l’existence d’une offre de qualité pour les plus modestes est essentielle (Voir plus haut).

Doit-on aller plus loin dans le soutien aux plus modestes ? On pourrait imaginer que des communes décident de mettre en place un revenu minimum local, comme cela a été fait par exemple à Grande-Synthe dans le Nord. En particulier pour les plus jeunes qui, entre 18 et 25 ans, n’ont le droit à des allocations que sous des conditions très restrictives (voir notre article « Pour la création d’un revenu minimum unique »). Une telle politique serait coûteuse pour les finances locales pour les villes qui voudraient agir seules, mais la question se pose, faute d’action au niveau national.

5- Réduire les inégalités au sein de l’emploi communal

Les communes et communautés de communes emploient 1,5 million d’agents, soit plus d’un quart de la fonction publique en 2017 [6] . Un tiers des fonctionnaires communaux sont recrutés sur contrat et non pas par la voie du concours. Ces contractuels sont soumis à un statut plus précaire et moins égalitaire que leurs collègues, tant par rapport à l’avancement qu’au mode de recrutement qui renforce le risque de favoritisme, voire de népotisme.

Ces agents ne disposent d’aucune indemnité de fin de contrat, contrairement aux CDD du privé qui touchent une prime de précarité. Mais l’univers des contractuels est composé de deux types d’emplois : d’une part des cadres bien rémunérés (c’est d’ailleurs le contrat qui leur permet de déroger aux règles de rémunération de la collectivité) et renouvelés régulièrement, d’autre part des précaires peu qualifiés, employés dans des conditions encore plus mauvaises que dans le secteur privé.

Les communes peuvent également agir dans le domaine de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Si la fonction publique communale est féminisée à plus de 60 %, seuls 30 % des emplois de direction sont occupés par des femmes (lire notre article « Dans la fonction publique, les femmes restent souvent des exécutantes »). Dans la fonction publique territoriale, les femmes exercent essentiellement dans le domaine du social, filière féminisée à plus de 90 %.

Les niveaux de rémunération sont très encadrés au niveau communal mais rien n’empêche une commune de favoriser, par le biais de primes notamment, les personnes du bas de l’échelle et de réduire ainsi les écarts. Les mairies peuvent également mener des politiques de formation des employés communaux les moins qualifiés et de réduction de la précarité.

La commune constitue-t-elle un territoire pertinent pour lutter contre les inégalités ?

Les communes n’ont pas toutes les cartes en main. Fiscalité, emploi, éducation, santé : sur un grand nombre de mécanismes de réduction des inégalités, les communes ont des marges de manœuvre étroites. Toutefois, elles disposent d’outils très concrets pour favoriser l’égalité d’accès au logement abordable, aux transports, aux loisirs et à la culture notamment. Vivre dans un environnement urbain de qualité, accéder aux transports en commun, pouvoir offrir à ses enfants des loisirs intéressants avec des professionnels qualifiés, faire garder ses jeunes enfants ou pouvoir terminer sa vie dans des conditions matérielles satisfaisantes quand on est âgé sont des sujets moins médiatisés que les impôts, la réussite scolaire ou l’accès aux soins, mais n’en ont pas moins une importance considérable au quotidien. Hormis les plus démunis, rares sont les Français qui savent même ce qu’est un « CCAS », alors qu’il constitue une bouée de sauvetage pour un grand nombre de personnes.

La proximité des élus avec leurs administrés dans les petites ou moyennes communes leur offre la capacité de répondre au plus près aux besoins des habitants, de faire un peu de cas par cas, quand c’est possible. Même si, il est vrai, l’existence d’une myriade de toutes petites communes limite la capacité d’intervention et l’efficacité des plus petites. En mutualisant les moyens, les communes se donnent des marges de manœuvre potentielles pour combattre les inégalités. À condition tout d’abord qu’au sein des regroupements, les communes favorisées jouent le jeu de la solidarité envers celles qui le sont moins. À condition aussi que cette gestion mutuelle préserve du lien de proximité entre les services sociaux et les administrés.

La campagne électorale de l’année 2020 est placée sous le signe de l’écologie. Les candidats rivalisent de propositions dans ce domaine et, dans les grandes villes, sont massivement impliqués dans la création de « forêts » urbaines. La politique de lutte contre les inégalités sociales et la précarité passe au second plan des programmes de la plupart des candidats des grandes villes. Ces programmes, forgés par des couches moyennes et aisées, répondent souvent à leurs propres préoccupations. Ce n’est pas un bon signe pour les politiques municipales qui seront mises en œuvre dans les six prochaines années.

Noam Leandri et Louis Maurin

Comment marche le budget des communes
Les budgets des communes et de leurs établissements ont fortement progressé sous l’effet de la décentralisation. Le budget total est ainsi passé de 85 milliards d’euros en 2000 à 150 milliards d’euros en 2018, une hausse de 78 %. La grande majorité des dépenses servent à payer les salaires des agents communaux (47 milliards d’euros) et à investir dans les équipements publics (32 milliards), à commencer par les routes communales et les écoles élémentaires. Au total, ces dépenses ne représentent que 12 % de l’ensemble des dépenses publiques qui comprennent celles des autres collectivités locales, de l’État, des hôpitaux et de la Sécurité sociale.

Les communes ont peu de latitude sur leurs propres ressources. Les impôts locaux ne représentent que 44 % des recettes. Le mode de prélèvement est déterminé par la loi votée par le Parlement. Les communes gardent la liberté de voter les taux, dans une échelle fixée par la loi. La suppression de la taxe d’habitation (proportionnelle à la valeur à la location du logement) engagée par le gouvernement réduit encore cette marge de manœuvre.

Le principal impôt local auprès des ménages est la taxe foncière, qui touche les propriétaires fonciers ou immobiliers. Elle est proportionnelle à la valeur du bien mais malheureusement, comme la taxe d’habitation, elle est calculée sur des bases qui datent des années 1970. Les élus locaux peuvent aussi jouer sur un ensemble d’autres taxes locales dont le montant demeure modeste. L’une d’elles est la taxe d’enlèvement des ordures ménagères : elle est particulièrement inégalitaire car elle ne prend pas en compte les ressources.

Les concours de l’État servent à rembourser aux communes les exonérations d’impôts et à atténuer les inégalités de ressources entre les communes. Cette égalisation des ressources – la « péréquation » – prend la forme d’une dotation générale de fonctionnement prélevée sur le budget de l’État mais s’effectue aussi par le biais de mécanismes de redistribution des ressources des communes les plus riches vers les plus pauvres au sein des communautés de communes.
Budget des communes et de leurs regroupements
Montant (en milliards d'euros)
Part
en %
Dépenses
Personnel4735
Investissement3224
Fonctionnement4332
Remboursement d'emprunts et intérêts118
Autres dépenses de fonctionnement3,73
Total des dépenses133100
Recettes
Impôts locaux 5844
Autres impôts indirects et taxes129
Concours de l'État2217
Dotations et subventions d'investissement1511
Nouveaux emprunts 86
Autres recettes de fonctionnement1914
Total des recettes133100

Source : Direction générale des collectivités locales – Données 2019 – © Observatoire des inégalités

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[1Nous ne distinguons pas dans ce texte l’action communale et intercommunale, certaines compétences peuvent relever de l’intercommunalité.

[2Dans ce domaine les conseils départementaux ont aussi une place importante.

[3Sans parler des invitations gratuites distribuées parmi les responsables municipaux.

[4Selon le bilan triennal 2014-16 de l’article 55 de la loi SRU.

[6« Rapport annuel sur l’état de la fonction publique », ministère de l’Action et des comptes publics, 2019.

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Date de première rédaction le 9 mars 2020.
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