Le mal-emploi toujours au plus haut
Jamais le mal-emploi n’a été aussi élevé que ces quatre dernières années. Il touche désormais huit millions de personnes, un actif sur quatre. Le chômage diminue lentement depuis 2015, mais la précarité du travail augmente. Par Anne Brunner et Louis Maurin.
Publié le 5 décembre 2019
https://www.inegalites.fr/Le-mal-emploi-toujours-au-plus-haut - Reproduction interditeChômeurs, travailleurs précaires, découragés du travail : nous estimons à huit millions de personnes le nombre de victimes du mal-emploi en 2018. Il concerne une personne sur quatre parmi les adultes qui ont un emploi ou désirent travailler. Le mal-emploi concerne 2,8 millions de personnes de plus qu’en 1990. Il place des millions de personnes dans l’insécurité sociale, avec des horizons de vie raccourcis, quand une majorité de la population est assurée de la stabilité d’un contrat à durée indéterminée.
Au cours des 30 dernières années, le mal-emploi a progressé par paliers. D’abord, dans les années 1990, marquées par la profonde récession de 1993. Il passe alors de 5 millions à 6,7 millions de personnes. De la fin des années 1990 à la fin des années 2000, la situation se stabilise. Entre 1997 et 2001, la croissance revient et l’état du marché du travail s’améliore.
Source : calculs de l'Observatoire des inégalités d'après Insee – © Observatoire des inégalités
La moitié de la hausse du mal-emploi constatée depuis 30 ans s’est produite entre la crise de 2008 et 2015. Elle s’explique d’abord par une augmentation de 44 % du nombre de chômeurs sur cette période (soit 930 000 personnes de plus). Les jeunes actifs sont en première ligne. Lorsque l’emploi manque, les jeunes qui cherchent à s’insérer sur le marché du travail connaissent de plus grandes difficultés, particulièrement les moins diplômés d’entre eux.
La hausse du chômage s’est accompagnée d’une augmentation du nombre des personnes découragées de chercher un emploi (312 000 de plus entre 2008 et 2015). Elles sont considérées comme inactives par l’Insee mais elles déclarent toujours vouloir travailler. On appelle ce phénomène le « halo » du chômage, constitué de personnes le plus souvent découragées devant les mauvaises conditions de travail. Le nombre de contrats précaires a également augmenté entre 2008 et 2015, mais à un rythme plus lent (230 000 personnes supplémentaires).
L’embellie du marché de l’emploi est réelle depuis 2015. Le nombre de chômeurs a diminué de 350 000 personnes entre 2015 et 2018. Autre signe d’amélioration : le nombre d’inactifs découragés de chercher un travail s’est stabilisé. Pourquoi alors le mal-emploi ne recule-t-il pas ? La baisse du chômage est compensée par l’augmentation du nombre de contrats précaires entre 2015 et 2018, passé de 3,4 millions à 3,7 millions.
Ce n’est pas illogique. Dans les périodes d’amélioration de l’activité, les employeurs commencent souvent par créer des emplois précaires, convertis par la suite en postes plus durables. Cette dernière étape tarde à venir. La précarité semble tout juste cesser d’augmenter en 2018. Un tel niveau de mal-emploi doit alerter. Depuis les années 1990, aucune phase de reprise n’a été assez durable pour faire baisser sensiblement le niveau de la précarité en France [1]. En cas de nouvelle récession, le mal-emploi risque de repartir vers de nouveaux sommets.
Anne Brunner et Louis Maurin
Source : calculs de l'Observatoire des inégalités d'après Insee – © Observatoire des inégalités
Source : Insee – © Observatoire des inégalités
Sur les différentes composantes du mal-emploi, voir nos contributions :
- Mal-emploi : huit millions de personnes fragilisées
- Le chômage baisse enfin
- La précarité de l’emploi augmente
- Le halo du chômage
Qu’est-ce que le mal-emploi ? |
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Notre indicateur de mal-emploi rassemble les personnes qui occupent un emploi précaire et celles qui n’ont pas de travail mais qui souhaiteraient en avoir un. Notre définition de la précarité regroupe l’intérim, les contrats à durée déterminée et l’apprentissage. Les chômeurs sont ceux qui sont comptabilisés comme tels selon la définition du Bureau international du travail. Nous y ajoutons les inactifs qui déclarent souhaiter travailler, ce que l’Insee appelle le « halo » du chômage. Le taux de mal-emploi représente la part de toutes ces personnes parmi l’ensemble des actifs (personnes en emploi ou au chômage) auxquels nous ajoutons les inactifs souhaitant travailler. D’un côté, notre indicateur surestime la précarité. Une partie des chômeurs et des précaires le sont de façon très temporaire. Certains, même s’ils demeurent très minoritaires, occupent un contrat court parce qu’ils l’ont choisi en attendant de faire un choix définitif. De l’autre côté, il la sous-estime. Il n’intègre pas les non-salariés précaires, peu qualifiés, dont certains vivent au jour le jour (comme les livreurs payés à la tâche). Il ne comprend pas non plus les salariés en temps partiel dont une partie souhaiterait travailler plus. |
Photo / Creative commons
[1] Voir « La précarité du travail progresse à nouveau », Centre d’observation de la société, 2019.
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