Niveaux de vie : le rôle du logement
L’impact du coût du logement sur le niveau de vie des ménages est mal mesuré en France. Louis Maurin (Observatoire des inégalités et Alternatives Economiques), souligne la pauvreté des travaux français dans le domaine des revenus. Article extrait du magazine Alternatives Economiques.
Publié le 29 mars 2006
https://inegalites.fr/Niveaux-de-vie-le-role-du-logement - Reproduction interditeDécidément, la France est fâchée avec l’évaluation des niveaux de vie. On ne dispose d’aucune donnée sur la répartition des revenus du patrimoine depuis bientôt dix ans, et personne ne s’en offusque. L’impact du coût du logement sur les inégalités de niveaux de vie est également très mal pris en compte.
Pour mesurer les niveaux de vie, l’Insee ajoute aux revenus (hors revenus du patrimoine) les prestations sociales (dont les allocations logement) et déduit les impôts directs (impôt sur le revenu et impôts locaux). C’est logique si l’on veut connaître les montants dont les ménages disposent réellement dans leurs porte-monnaie pour vivre. Le hic, c’est que ce mode de calcul ne fait aucune différence entre les ménages qui supportent des charges de loyer ou de remboursement d’emprunt pour leur logement et ceux qui ont achevé de rembourser leurs emprunts immobiliers. Ceux-ci disposent pourtant d’une nette amélioration de leur train de vie.
L’Insee a tenté d’estimer ce gain (1) qualifié de « loyer fictif » (parce que non réellement perçu) à partir des données de l’enquête logement de 2002 et en fonction du type de logement (surface, nombre de pièces, confort, situation du logement, etc.). Le revenu le plus élevé des 10 % les plus pauvres (le premier décile) passerait alors de 629 à 724 euros par mois (par unité de consommation) ; quant au revenu le plus bas des 10 % les plus riches, il augmenterait de 2 457 à 2 766 euros. Dans un cas, le revenu s’accroît de 95 euros, dans l’autre de 309 euros...
Ces données sont des estimations à utiliser avec précaution (2). En premier lieu, elles intègrent l’ensemble des ménages logés gratuitement. Il est assez logique de rassembler tous les ménages qui n’ont ni charge de loyer ni emprunt. Mais la situation de ménages hébergés par un tiers reste très différente (notamment parce qu’elle est souvent plus instable) de celle du propriétaire qui n’a plus de charge d’emprunt. Alors que les premiers se trouvent surtout parmi les plus démunis, les seconds sont plutôt parmi les plus favorisés. Bref : si l’on se concentrait sur les propriétaires, les inégalités seraient encore plus grandes. En second lieu, on ne sait rien des inégalités parmi les 10 % les plus riches, là où se concentrent les propriétaires les plus aisés.
L’évaluation de l’Insee permet une appréciation plus juste des inégalités, mais elle permet aussi de mieux cerner la pauvreté. Le profil des ménages à bas revenus change assez fortement si l’on prend en compte le fait de ne pas avoir à payer pour son logement. Les propriétaires à bas revenus sont plutôt âgés et vivent plus souvent en milieu rural : du coup, la population pauvre est plutôt plus jeune et plus urbaine. Les ménages où la personne de référence a plus de 65 ans représentent un tiers des ménages à bas revenus, mais seulement un sur cinq si l’on tient compte de l’effet logement. Les ménages ruraux passent de 32 % à 22 %.
Tout en ouvrant des pistes de réflexion, l’étude de l’Insee révèle une fois de plus la pauvreté des travaux français dans le domaine des revenus. Cette absence nuit gravement à l’analyse de la société française.
(1) « Loyers imputés et inégalités de niveau de vie », par Jean-Claude Driant et Alain Jacquot, Economie et statistique n° 381-382, 2005. L’ensemble de ce numéro est consacré au logement.
(2) Une autre manière de procéder serait de calculer un niveau de vie pour lequel on déduirait des revenus l’ensemble des charges de logement.
Article extrait du magazine Alternatives économiques de décembre 2005.
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