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Quelles priorités pour une fiscalité juste ?

Comment rendre l’impôt plus juste ? D’abord en s’attaquant à l’évasion et aux niches fiscales. Ensuite, en reconstruisant un vrai impôt progressif. Par Jean Gadrey, économiste, professeur honoraire à l’université Lille 1.

Publié le 27 septembre 2016

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Revenus

La fiscalité est souvent citée comme le principal outil public capable d’améliorer l’égalité des ressources économiques des citoyennes et des citoyens. Elle n’en est que l’une des composantes, mais elle a l’avantage, par rapport à d’autres politiques (de logement ou de santé par exemple), d’avoir des effets rapides. Avant d’en venir à ce que pourraient être les priorités d’une fiscalité juste, quelques rappels s’imposent.


Ce texte est extrait de l’ouvrage Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent, sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.
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Une fiscalité plus juste

En premier lieu, la fiscalité consiste à prélever des montants d’argent à certains (recettes fiscales) pour ensuite les dépenser (dépenses publiques). Ces deux volets influent sur les inégalités. D’abord, les « prélèvements » sont-ils justes, tiennent-ils compte des « capacités contributives », prélève-t-on proportionnellement plus sur les plus riches (c’est ce qu’on appelle alors la progressivité), suffisamment sur les entreprises par rapport aux ménages, etc. ? Ensuite, les dépenses publiques ont-elles ou non un effet de réduction des inégalités, qu’il s’agisse des services publics (qui ont joué dans le passé un rôle positif majeur) ou des dépenses sociales (minima sociaux, allocations diverses, dépenses pour le chômage, etc.) ? On ne traitera ici que de la première question : celle de la justice sous l’angle des recettes fiscales.

En second lieu, s’il est vrai que la « redistribution » qui vient d’être évoquée importe dans ses deux volets (recettes et dépenses), elle s’effectue sur la base d’une « distribution primaire » [1] des revenus (ou des patrimoines) qui peut être plus ou moins inégalitaire. Plus cette dernière est inégalitaire, plus la fiscalité et la redistribution doivent « courir » après ces inégalités pour tenter de les réduire, et plus c’est alors difficile et coûteux. On ne peut donc pas se désintéresser, lorsqu’on parle de réformes de la fiscalité, des réformes de l’éventail complet des revenus : par exemple, les montants aujourd’hui très faibles des minima sociaux, et ceux, scandaleusement élevés, des très hauts revenus.

En dernier lieu, les constats actuels de l’état de la fiscalité en France montrent qu’elle est devenue de plus en plus injuste et de moins en moins progressive au fil des dernières décennies. Avec en particulier un poids désormais très faible pour les impôts encore progressifs (dont l’impôt sur le revenu, seulement 20 % des recettes fiscales) pendant que les impôts indirects [2] montaient en puissance, dont la TVA (51 % des recettes fiscales), qui est « régressive » en ce sens que les pauvres la paient plus que les riches en proportion de leurs revenus. Selon Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez [3], les 1 % les plus riches paient aujourd’hui moins d’impôts (tous impôts confondus) en proportion de leur revenu que les pauvres et les classes moyennes. C’est l’exact opposé de la progressivité, considérée comme le principal critère de justice. Quant aux entreprises, surtout les plus grandes (la plupart des PME paient en revanche « plein pot »), elles ont obtenu, elles aussi, tellement de « niches » que certaines en paient désormais très peu. Sans même parler de l’évasion illégale dans les paradis fiscaux qui coûte entre 30 et 50 milliards d’euros par an aux finances publiques, selon un rapport parlementaire [4].

Quelles priorités ?

En ayant cela en tête, on peut mettre en débat les priorités suivantes, sans entrer dans les détails techniques. On n’a retenu ici que des réformes majeures, à fort impact, mais qui semblent économiquement et politiquement réalistes, pouvant fort bien être mises en œuvre dès 2017. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne se heurteraient pas à l’influence de lobbies divers et puissants…

1. En finir en quelques années avec l’évasion fiscale et, pour cela, s’inspirer des nombreuses propositions du rapport d’Eric Bocquet, des 29 recommandations de la plateforme paradis fiscaux et judiciaires » [5], et de celles de bons spécialistes que sont Christian Chavagneux et Ronen Palan [6].

2. Mettre en débat démocratique l’ensemble des niches fiscales, dont certaines sont justifiées (par exemple les déductions d’impôts pour les dons à des associations reconnues d’utilité publique, ou pour des travaux d’isolation thermique, etc.), pendant que d’autres sont à la fois inefficaces en termes d’intérêt général et socialement injustes lorsque les plus riches en bénéficient presque exclusivement, ou lorsqu’elles favorisent indûment les grandes entreprises par rapport aux PME. Un rapport parlementaire de juin 2010, présenté par Gilles Carrez, alors député UMP, estimait que les « niches » accordées depuis 2000 représentaient pour le budget de l’État un manque à gagner annuel supérieur à 100 milliards d’euros à la fin de cette décennie ! On devrait en particulier considérer comme une niche notoirement inefficace les 46 milliards annuels de « cadeau sans contrepartie » que représentent le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et plus généralement le pacte dit de« responsabilité ».

3. Revenir à des barèmes et des taux d’imposition nettement plus progressifs. Le taux marginal d’imposition sur le revenu (celui qui s’applique à la tranche la plus élevée des revenus) était encore à 65 % en 1986, et le taux d’imposition sur les sociétés à 45 %. Ces dernières années, ils étaient respectivement de 40 % (devenus 45 % depuis 2013) et 33 %. En théorie, car les plus riches et les plus grandes entreprises savent en réduire la portée. Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les entreprises du CAC 40 ne paient plus qu’à un taux d’imposition réel de 8 % alors que les petites entreprises versent 30 %.

4. Fusionner l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (introduite au début des années 1990) en rendant cette dernière, dans l’idéal, aussi progressive que le premier. C’est d’autant plus important que la Contribution sociale généralisée (CSG) rapporte désormais beaucoup plus que l’Impôt sur le revenu (IR) mais qu’elle n’est pas du tout progressive (sauf pour les retraités).

5. En finir avec le quotient familial de l’impôt sur le revenu, qui procure un avantage proportionnel (certes plafonné) au nombre d’enfants et… au revenu ! Le remplacer par une somme fixe pour prendre en compte la charge induite par un enfant.

6. Renforcer nettement la fiscalité du patrimoine des ménages (impôt sur la fortune, droits de succession…), devenue une machine à échapper à l’impôt alors que l’on sait à quel point les inégalités de patrimoines sont immenses (les 1 % les plus aisés disposent du quart du patrimoine total des ménages) et surtout le rôle majeur qu’elles jouent dans la reproduction des inégalités sociales. On pourrait en outre mettre en débat une proposition [7] qui part du constat suivant : le taux d’imposition réel moyen sur les revenus du capital n’est actuellement que de 11 %, du fait qu’une grande partie de ces revenus échappe à l’impôt. Or selon ses auteurs « le revenu du patrimoine… devrait être imposé au même titre que les revenus du travail. Une telle règle respecte l’équité (dans le sens où les ménages sont alors imposés selon leur capacité contributive, quelle que soit la source de leurs revenus), et permet de lutter contre l’optimisation fiscale ». Une telle fiscalité renforcée sur les revenus du capital n’est incompatible ni avec des droits de succession plus élevés sur les grosses successions, ni avec un Impôt sur la fortune (ISF) qui ne serait plus, comme aujourd’hui, une passoire à gros trous et à très faible rendement.

Jean Gadrey

Blog : www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey

Ce texte est un extrait de l’ouvrage « Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent », sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.

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Photo / © Bercy - Creative Commons


[1Répartition des revenus entre les salaires et autres revenus du travail, et les revenus du patrimoine (mobilier ou immobilier), entre les acteurs de l’économie, avant la « redistribution » (impôts et prestations).

[2Qui portent « indirectement » sur les revenus car ils frappent la consommation (TVA, taxes sur l’essence, le tabac, etc.).

[3Voir Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale, Le Seuil, 2011.

[4Voir « Commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales », rapport de M. Eric Bocquet au nom de la commission d’enquête « Evasion des capitaux », n°673, juillet 2012, Assemblée nationale.

[6Voir Christian Chavagneux et Ronen Palan, Les paradis fiscaux, coll. Repères, La Découverte, 2012.

[7« Quelles réformes de la fiscalité du patrimoine ? », Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau, blog OFCE, juin 2012.

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Date de première rédaction le 27 septembre 2016.
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