Entretien

« Les riches sont deux fois plus nombreux à partir en vacances que les plus pauvres, et cela depuis le début des années 1980 ». Entretien avec Sandra Hoibian

Partir en vacances, souvent et loin, c’est d’abord une question de revenus. Mais aussi une question de milieu social. Entretien avec Sandra Hoibian, directrice générale du Crédoc.

Publié le 25 juin 2025

https://www.inegalites.fr/Les-riches-sont-deux-fois-plus-nombreux-a-partir-en-vacances-que-les-plus - Reproduction interdite

Modes de vie Catégories sociales Culture et loisirs

Que peut-on dire aujourd’hui des inégalités face aux vacances ?

Le taux de départ a retrouvé cette année son niveau d’avant la pandémie de Covid-19 (64 %). Ceci dit, au fond, le taux de départ en vacances varie peu depuis une quarantaine d’années, autour de 60 %. De même les écarts entre les groupes socio-démographiques ne diminuent pas : les riches sont deux fois plus nombreux à partir en vacances que les plus pauvres, et cela depuis le début des années 1980.

Qu’est-ce qui explique ces écarts ?

Le budget nécessaire pour pouvoir partir en vacances, pour les plus modestes, est bien supérieur au budget santé, par exemple. Partir en vacances est une variable d’ajustement importante. En cas de difficultés financières, on réduit un peu les soins, l’alimentation, mais on supprime surtout les vacances.

Les inégalités ne portent pas que sur le fait même de partir. Partir plus ou moins loin distingue aussi les catégories sociales. Les voyages à l’étranger sont clairement le propre d’une petite partie de la population, la plus favorisée, de même que les vacances au ski. Il y a une sorte de surmédiatisation des voyages marchands par rapport à la réalité des pratiques : les sports d’hiver, par exemple, qui envahissent nos journaux télé en février, concernent seulement 9 % de la population [1]. Les Français partent essentiellement dans leur famille et chez des amis (38 % des nuitées) ou dans leur résidence secondaire (14 %) [2].

La fréquence des séjours compte aussi. Ce n’est pas la même chose de partir une fois dans l’année ou six fois, en s’offrant régulièrement des week-ends hors de son domicile. Les travaux de l’Insee ont montré que les cadres partent en moyenne 26 nuits contre 11 pour un ouvrier sur toute l’année [3]. Les plus aisés recourent au low cost, à Airbnb, pour multiplier les départs. Les plus modestes rentabilisent le trajet en restant plus longtemps à un même endroit, car les frais de transport représentent une partie importante du budget total des vacances.

Ce contenu vous intéresse ? Soutenez les travaux de l’Observatoire des inégalités.

Je fais un don

Est-ce seulement une question de revenus ?

Non. D’autres freins tiennent à l’état de santé, à la situation professionnelle (c’est plus difficile de partir quand on est indépendant ou jeune en stage, par exemple). Les contraintes familiales – par exemple quand on est aidant d’une personne âgée – jouent aussi un rôle.

Un autre frein au départ en vacances et à la multiplication des séjours tient au réseau social. Avoir de la famille ou des amis dans un endroit agréable et avec une maison assez grande pour accueillir est un avantage pour partir souvent. Le réseau social ne suffit pas, il faudra aussi pouvoir payer un trajet pour ne rester que quelques jours : on ne peut pas s’imposer plusieurs semaines chez les autres.

Par ailleurs, partir seul en vacances, ou pour un foyer monoparental, n’est pas forcément facile, tant sur le plan des représentations, que sur le plan pratique et financier.

Il y a aussi de grandes différences dans la gestion du temps des vacances. Une journée « vacances » pour les plus aisés et les plus diplômés, qui ont l’habitude de faire du sport, de sortir, de voir des spectacles au quotidien, va être très remplie. Ils vont multiplier, exactement comme ils le font tout au long de l’année, les pratiques sportives et culturelles

En quoi l’accès aux vacances peut-il avoir une influence sur les inégalités ?

Les inégalités sociales sont grandes mais, malgré tout, les vacances demeurent un moment privilégié pour rompre, au moins en partie, la forte segmentation des pratiques culturelles et sportives entre catégories sociales qui prévaut tout le reste de l’année. Sur la plage, dans les festivals, lors de visites du patrimoine, au travers des animations, il y a moins d’entre-soi, les couches sociales se côtoient plus qu’à l’habitude. Les vacances peuvent constituer une occasion de découvrir, d’expérimenter des pratiques culturelles et sportives, de façon plus simple et à moindre coût (en les testant de manière éphémère, voire gratuitement selon les politiques mises en place). En favorisant les départs en vacances et en les accompagnant d’offres de loisirs accessibles sur les lieux de villégiature des plus modestes, on a une opportunité de faire bouger les lignes des inégalités sociales.

Les vacances constituent un élément fort de l’intégration sociale, à l’instar des dépenses pour l’hygiène, la beauté et le numérique [4]. Ces dépenses ne sont pas superflues, comme on pourrait le penser. Entre deux personnes qui ont le même niveau de vie, le même âge, le même sexe, qui vivent dans une commune de même taille, celle qui part en vacances se sent plus aisée que celle qui ne part pas. Au-delà de montrer un certain statut social, les vacances créent aussi de la sociabilité, à la fois sur les lieux de vacances, mais également au retour : on peut en parler avec son entourage, ses collègues, ses voisins, sans risque de polémique. C’est un sujet consensuel, un peu comme le foot. Ces constats sont évidemment encore plus vrais pour ceux qui ont des enfants : les familles qui ne peuvent pas offrir de vacances à leurs enfants expriment un sentiment d’exclusion.

Comment réduire les inégalités face aux vacances ?

Les aides financières au départ en vacances sont essentiellement mobilisées par les classes moyennes parce qu’elles sont salariées et qu’une partie dispose de chèques-vacances [5]. Il faudrait créer de nouvelles aides et rendre plus visibles celles qui existent : les Caisses d’allocations familiales offrent par exemple des aides aux vacances, mais ce sont des enveloppes ponctuelles, décidées localement, et donc pas nécessairement bien identifiées par le public qu’elles devraient viser.

On pourrait aussi imaginer une aide à l’organisation des vacances. Monter son projet vacances n’est pas simple pour tout le monde et nécessite du temps et des connaissances pour optimiser le budget, le temps, prévoir les activités à faire avec les enfants. Il y a beaucoup de méconnaissance et d’anxiété, notamment vis-à-vis des arnaques sur Internet, pour ceux qui n’ont pas l’habitude de partir. Les offres de la nouvelle économie sont peu sécurisantes, un label ou une plateforme de l’État pourraient en garantir la fiabilité et rassurer les plus modestes. Le risque financier est déjà trop important pour se permettre que le projet capote.

Enfin, il y a un troisième levier : l’éducation aux vacances. Quand on a eu l’habitude, petit, de partir en voyage, on a moins d’appréhension face à l’inconnu que les vacances peuvent représenter par rapport aux habitudes quotidiennes. Il faut donc faire en sorte que les plus jeunes partent davantage.

Qu’en est-il de ce que l’on appelle les « colos » ?

Ce qu’on appelait autrefois les « colonies de vacances », qui s’adressaient d’abord aux milieux populaires, sont en diminution sur le long terme. Selon l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), 1,6 million de mineurs sont partis en séjours avec hébergement en 2009-2010, contre 1,2 million en 2021-2022.

Toutefois, après une chute importante liée au Covid-19, les séjours collectifs reprennent des couleurs. Lorsque les 5-19 ans partent en vacances, ils le font majoritairement avec leurs parents. Mais un quart des jeunes ayant bénéficié de vacances sont partis au moins une fois en séjour collectif en 2024 [6], un taux en augmentation depuis 2022. Ces séjours (colonies, camps scouts, stages sportifs, séjours linguistiques, etc.) sont perçus comme une chance pour l’enfant, en particulier pour les 11-18 ans. Cette bonne opinion est d’autant plus fréquente que parents et enfants ont déjà expérimenté vacances et activités collectives. La principale réticence est liée à la sécurité, notamment pour les plus jeunes, en phase avec cette préoccupation croissante dans la société. La deuxième réticence principale vient des contraintes financières [7]. Les départs en séjours collectifs sont plus nombreux parmi les plus aisés et pour les enfants de 14-16 ans. Ils viennent souvent s’ajouter à d’autres départs, plutôt que constituer une opportunité pour ceux qui ne partent jamais. Les enfants partis en séjour collectif partent aussi plus souvent en vacances avec leurs parents.

Il faudrait soutenir l’offre populaire comme cela a été fait autrefois. Avec des séjours qui comprennent des activités de qualité pour les enfants, pour un prix abordable, dans des lieux qui rassurent les parents. Pour encourager ces derniers à inscrire leurs enfants en séjour collectif, on pourrait aussi sensibiliser au fait que les vacances constituent un outil pour l’épanouissement des enfants, d’intégration sociale, voire d’ascension sociale. On sait par exemple que les individus vont davantage au musée dès lors qu’ils ont des enfants parce qu’ils savent que cela peut encourager la réussite de leur progéniture. Un argument sans doute utilitariste, mais qui pourrait être efficace. Avec des bénéfices aussi sur l’apprentissage de la vie en collectif dans une société où les pratiques de loisirs en général s’individualisent.

Propos recueillis par Louis Maurin.

Photo / © Credoc


[1« Moins d’un Français sur dix part aux sports d’hiver », Sandra Hoibian, Note de synthèse du Crédoc n° 40, Crédoc, janvier 2024.

[2« Nuitées selon le type d’hébergement et le motif du déplacement. Données annuelles 2023 », Insee, juin 2024.

[3« Quels sont les Français qui voyagent ? », Insee Focus n° 310, Insee, octobre 2023.

[5Les chèques-vacances, proposés par l’employeur, permettent de financer des activités culturelles et de loisirs. Voir notre article « Qui reçoit des aides financières pour partir en vacances ? ».

[6Plus précisément, au cours des douze derniers mois selon l’enquête réalisée par le Crédoc en janvier 2024.

[7« Après la crise sanitaire, les séjours collectifs gardent leur attrait », Solen Berhuet, Jérémie Bornet, Lucie Brice-Mansencal, Consommation & Modes de Vie N° CMV341, Crédoc, octobre 2024.

L’Observatoire des inégalités a besoin de vous

L’Observatoire des inégalités est indépendant, il ne dépend pas d’une institution publique. Il n’accepte ni la publicité ni le financement de grandes entreprises.

Nous sommes financés principalement par les dons de milliers de personnes qui nous soutiennent ponctuellement ou régulièrement.

Avec votre soutien, nous continuerons de produire une information de qualité et à la diffuser en accès libre. Chaque contribution, grande ou petite, compte. C’est le moment de nous aider. Merci.


Faire un don
Date de première rédaction le 27 juillet 2018.
© Tous droits réservés - Observatoire des inégalités - (voir les modalités des droits de reproduction)

Sur ce thème