Impôts : comment ça marche ? Quels sont les plus justes ou injustes ?
Pour la plupart des citoyens, le débat public sur les impôts est incompréhensible. Le système fiscal repose sur trois grands types d’impôts : forfaitaires, proportionnels et progressifs, dont les effets sont différents. Le décryptage de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Publié le 23 février 2024
https://inegalites.fr/Impots-comment-ca-marche-Quels-sont-les-plus-justes-ou-injustes - Reproduction interditeL’impôt [1] est au cœur de la réduction des inégalités de niveau de vie : il redistribue la richesse entre les catégories les plus riches et les catégories les plus pauvres. Les polémiques autour de la fiscalité sont parfois houleuses, mais une large part de la population ne comprend pas vraiment comment fonctionnent les impôts. Comme le révèle une étude menée en 2017 [2], 20 % des personnes interrogées ne connaissent pas le fonctionnement de l’impôt sur le revenu ou se trompent à son sujet, c’est le cas de 26 % pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et 58 % pour la contribution sociale généralisée (CSG). Le débat public repose sur des bases fragiles. Tentons d’y voir plus clair.
Il existe plusieurs centaines d’impôts. Pour comprendre comment ils fonctionnent, on peut les rassembler en trois grands ensembles : forfaitaire (le prélèvement est une somme fixe), proportionnel (en proportion du revenu par exemple) ou progressif (dont la proportion augmente avec la base – l’assiette en jargon fiscal – qui sert au calcul de son montant).
L’impôt forfaitaire, le plus injuste
L’impôt forfaitaire prélève le même montant (le forfait) à chacun : chaque contribuable voit son niveau de vie baisser d’autant. C’est la forme la plus rudimentaire de la fiscalité, mais aussi la plus injuste car elle ne tient pas compte des niveaux de vie. Cet impôt ne change pas les écarts de revenus en euros (différence entre le revenu des riches et celui des pauvres) et augmente les inégalités relatives (le rapport entre le revenu des riches et celui des pauvres).
En effet, si l’on prélève 100 euros à une personne qui en gagne 1 000 et à une autre qui en touche 2 000, elles touchent respectivement 900 et 1 900 euros après impôts. L’écart entre elles reste de 1 000 euros mais le rapport, qui était de à 1 à 2 (2 000 ÷ 1 000 = 2), passe de 1 à 2,1 (1 900 ÷ 900 = 2,1).
Ce type d’impôt est devenu très rare en France. L’ancienne redevance télévision fonctionnait ainsi. La taxe sur les ordures ménagères est du même type. Les abonnements à l’eau, l’électricité ou le gaz ne sont pas des impôts, ni des prélèvements obligatoires. Mais, au fond, ils fonctionnent de la même manière et concernent des services dont on ne peut se passer. Il existe des aides, mais uniquement pour les très bas revenus.
L’impôt proportionnel : il réduit les écarts en euros
La deuxième forme de prélèvement est proportionnelle aux revenus ou à la consommation. L’État prélève non plus un montant, mais une proportion. Ce type d’impôt réduit les inégalités absolues, c’est-à-dire les écarts en euros.
Une taxe de 10 % sur un revenu de 1 000 euros, représente 100 euros. Sur 2 000 euros, cela fait 200 euros. Dans cet exemple, les revenus après impôts sont respectivement de 900 (1 000 - 10 %) et 1 800 euros (2 000 - 10 %). L’écart de revenus passe de 1 000 euros avant impôts à 900 euros après impôts. Ce type d’impôt ne change rien en revanche aux inégalités relatives : le rapport est de un à deux avant impôts (2 000 euros contre 1 000 euros) comme après impôts (1 800 euros contre 900 euros).
L’essentiel de notre fiscalité fonctionne ainsi : c’est le cas de la contribution sociale généralisée, des cotisations sociales [3], de la taxe sur la valeur ajoutée ou de celles sur les carburants ou les cigarettes. Les cotisations sociales sont proportionnelles aux revenus ; la TVA est proportionnelle à la consommation (voir encadré).
L’impôt progressif réduit les écarts relatifs
La troisième forme de prélèvement est dite « progressive ». On parle de « progression » parce que le taux de prélèvement augmente (il progresse) avec la valeur de ce qui est taxé. C’est le cas notamment de l’impôt sur le revenu. Le taux de prélèvement s’accroit en fonction du revenu.
L’impôt progressif réduit à la fois les inégalités absolues et les inégalités relatives. Si vous prélevez 10 % sur des revenus de 1 000 euros et 20 % sur des revenus de 2 000 euros, vous obtenez, après impôts, des revenus de 900 euros et de 1 600 euros, soit un rapport qui passe de un à deux avant impôts à un à 1,8 après.
La justification de ce type de prélèvement est ancienne. L’économiste classique du XVIIIe siècle Adam Smith y était favorable pour une raison simple à comprendre : quand une personne qui gagne 1 000 euros reçoit 500 euros en plus, ce supplément lui est plus utile (ils couvrent des besoins de base) que les 500 euros supplémentaires gagnés par celui qui en perçoit déjà un million (il s’agit du superflu). Le second peut plus facilement s’en priver que le premier. Dit autrement, les « facultés » à contribuer aux dépenses de l’État – pour reprendre le terme de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 – augmentent en même temps que le revenu. Il est à la fois plus juste et économiquement plus efficace de taxer à un taux moins élevé ceux dont les revenus sont les plus faibles.
Quelles leçons tirer de tout cela ?
En pratique, l’impôt forfaitaire, le plus injuste, a presque disparu. L’impôt progressif (surtout l’impôt sur le revenu) ne représente qu’une très faible part de l’ensemble : moins de 10 % du total des prélèvements. Les catégories les plus aisées, davantage taxées, s’opposent à ce type de prélèvement. Au cours des Trente Glorieuses, le taux le plus élevé [4] de l’impôt sur le revenu dépassait 65 %. Il a été progressivement réduit à 45 %. Notre fiscalité est surtout proportionnelle, soit aux revenus (contribution sociale généralisée et cotisations sociales en particulier), soit à la consommation (TVA).
Un débat sur les impôts devrait porter sur trois paramètres :
1- Premièrement, sur la base de ce qui est taxé (qu’on appelle « l’assiette ») : faut-il taxer les revenus, la consommation, le patrimoine, les revenus du patrimoine ? De plus, il existe un grand nombre de mécanismes pour éviter de payer l’impôt. La fiscalité devient à la fois illisible et injuste, car seuls les plus aisés peuvent et savent utiliser ces « niches fiscales ».
2- Deuxièmement, quelle importance doivent avoir les impôts proportionnels et progressifs ? Est-il juste que ces derniers ne représentent qu’une très faible part de la fiscalité ? Finalement, on considère qu’un euro gagné par une personne pauvre a la même valeur que pour une personne riche, ce qui pose un problème d’équité.
3- Troisièmement, si l’impôt progressif est plus juste, comment déterminer à quel niveau on doit fixer les différents taux. Dans l’impôt sur le revenu, le taux actuel maximal de 45 % est-il juste ou non ? Faut-il, par exemple, considérer que personne ne peut gagner plus qu’une certaine somme en fixant un taux très élevé ? Aux États-Unis, de l’après-guerre aux années 1960, ce taux atteignait 90 % et en France, il dépassait 70 %. Au fond, tout dépend de notre façon de déterminer dans quelle mesure, en fonction de l’élévation du revenu, l’argent est plus ou moins utile ou superflu à celui qui le perçoit.
La TVA est-elle juste ? [5] |
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La TVA est une taxe sur la consommation. On la paie, sans s’en rendre compte, à chaque fois que l’on passe à la caisse, quand on fait ses courses. Le montant est inscrit sur votre ticket. L’entreprise qui vous vend quelque chose reverse ensuite la TVA collectée à l’État. Plus on est riche, plus on épargne, et donc, moins on consomme en proportion de son revenu. Donc, rapportée au revenu, la part de la TVA payée sur la consommation diminue quand le niveau de vie s’élève. Les taux de TVA moins élevés pour les produits alimentaires n’y changent pas grand-chose. Les défenseurs de la TVA expliquent que l’important est de taxer ce qui comble un besoin. L’épargne ne comble rien, à première vue. Toute somme épargnée sera taxée un jour : soit au moment de l’héritage, soit lors de l’achat d’un bien ou d’un service. Reste que dans un monde incertain, l’épargne comble en fait un besoin de sécurité pour celui qui en a les moyens : se prémunir pour l’avenir. Elle a une sorte d’utilité, elle aussi. |
Définitions : impôts, taxes, prélèvements obligatoires |
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Les impôts constituent des prélèvements sur les ressources des contribuables, sans contrepartie déterminée, pour couvrir les dépenses publiques de l’État, des collectivités locales et de l’Union européenne. Les taxes sont des formes particulières d’impôts, le plus souvent associées à l’achat d’un bien. Les cotisations sociales sont des prélèvements sur les salaires dans un but précis, le financement de la protection sociale. Ce ne sont pas des « impôts » à proprement parler. Les prélèvements obligatoires rassemblent l’ensemble des impôts et des cotisations sociales. La taxe d’enlèvement d’ordures ménagères n’est pas considérée officiellement comme un « prélèvement obligatoire » car elle finance directement un service. |
Photo / © HJBC
[1] Dans ce texte, nous employons le mot « impôt » au sens large de « prélèvement » sans le distinguer des taxes ou des cotisations sociales (voir encadré).
[2] Voir Résistances à l’impôt, attachement à l’État, Alexis Spire, Seuil, 2018.
[3] Globalement, car certaines cotisations sociales sont plafonnées et finissent donc par diminuer en fonction du revenu.
[4] Les économistes disent « marginal » car il taxe la « marge », la dernière tranche du revenu, et non l’ensemble.
[5] Sur ce sujet, voir aussi notre article « La TVA est-elle juste ? ».
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