Le travail devient de plus en plus pénible
Modernisation du travail ne rime pas avec fin de la pénibilité. Au contraire, les conditions de travail se dégradent depuis les années 1980. Une analyse extraite du Centre d’observation de la société.
Publié le 21 janvier 2025
https://inegalites.fr/Le-travail-devient-de-plus-en-plus-penible - Reproduction interditeDe 1984 à 2019, la part de salariés exposés aux conditions les plus difficiles physiquement a doublé, selon le ministère du Travail. Il y a 40 ans, 21,5 % d’entre eux indiquaient porter des charges lourdes, ils sont 40,5 % en 2019 (dernière donnée disponible) [1]. Durant la même période, la fraction de ceux contraints de rester longtemps dans une posture pénible [2] est passée de 16,2 % à 35,8 %, ceux soumis à des vibrations de 7,6 % à 17,3 %.
Source : ministère du Travail – © Observatoire des inégalités
La tendance est la même pour ceux qui travaillent dans la saleté, dont la part est passée de 21,8 % en 1984 à 30,1 % en 2019, ou dans un environnement humide (de 12,7 % à 22,2 %). Enfin, la proportion de salariés dont le travail dépend du déplacement automatique d’une pièce ou d’un produit a augmenté de 2,6 % à 7 %.
Source : ministère du Travail – © Observatoire des inégalités
Source : ministère du Travail – © Observatoire des inégalités
Des moyennes à décortiquer
Ces moyennes masquent des écarts énormes : chez les ouvriers non qualifiés, la part de ceux à qui on impose de rester longtemps dans une posture pénible est de 54 %, celle de ceux qui doivent porter des charges lourdes de 65,9 %. Seuls 11,2 % des cadres sont concernés par le port de charge lourdes par exemple. Même si elles occupent en général des postes moins durs physiquement que les hommes, la dégradation des conditions de travail est nette chez les femmes : la part de celles qui travaillent dans une posture pénible a ainsi augmenté de 13,4 % à 42,3 % entre 1984 et 2019. Il faut noter que ces données du ministère du Travail ne comprennent pas les travailleurs indépendants. Parmi eux, les moins qualifiés exercent aussi dans des conditions physiques souvent pénibles, comme les livreurs à vélo par exemple. Ces évolutions sont d’autant plus marquantes qu’au cours de la même période, l’emploi industriel a fortement baissé, et la part d’ouvriers dans l’emploi est passée de 30 % à moins de 20 % [3].
Pour certains indicateurs de pénibilité, comme le fait de rester longtemps dans une posture pénible, voire porter des charges lourdes, l’augmentation date des années 1980 à 2000. On notera aussi la diminution récente de la part du travail soumis au déplacement automatique d’un produit depuis 2013.
L’enjeu central des nouvelles technologies
Ces chiffres bruts vont à l’encontre d’un discours fréquent sur le travail « moderne » qui se serait délesté des tâches les plus physiques. L’utilisation des nouvelles technologies, la mécanisation des tâches les plus intenses et le développement d’une économie centrée sur les services n’aboutissent pas à une société dans laquelle le travail serait plus facile. Pour une très grande part des salariés, le quotidien du travail est physiquement éprouvant et marque les corps au fil des années.
Rien ne dit que la tendance générale à une pénibilité croissante du travail soit destinée à se prolonger. Tout dépendra à la fois des transformations des métiers, de l’utilisation de technologies visant à soulager l’effort, mais aussi des rythmes imposés. Pour l’heure, ces données permettent de mieux comprendre la réalité physique du travail en France et, par exemple, les réticences des personnes les plus usées à voir s’éloigner l’horizon d’une retraite attendue.
Extrait de « Le travail devient de plus en plus pénible », Centre d’observation de la société, mai 2024.
Photo / CC Stephen Philpott
[1] Le poids n’est pas précisé dans la question. On peut imaginer que chaque personne a une définition particulière du mot « lourd » et que cette perception évolue au fil du temps.
[2] La durée de la position pénible n’est pas précisée dans la question posée dans cette enquête du ministère du Travail. On peut imaginer que le mot « longtemps » ne veut pas dire la même chose pour les cadres et pour les ouvriers, par exemple.
[3] Voir « Comment évoluent les catégories sociales en France ? », Centre d’observation de la société, 27 mars 2023.
© Tous droits réservés - Observatoire des inégalités - (voir les modalités des droits de reproduction)