Les communes pauvres sont-elles plus polluées ?
La carte des pollutions en France ne recoupe pas celle des inégalités sociales. Une étude récente montre que les habitants des grandes villes sont plus exposés à de multiples sources de pollution que ceux des petites communes. Ils ne sont pas systématiquement les plus pauvres. Une analyse d’Anne Brunner.
21 mars 2023
https://www.inegalites.fr/Les-communes-pauvres-sont-elles-plus-polluees - Reproduction interditeLes populations les plus exposées aux pollutions sont-elles les plus pauvres et vice-versa ? Les données qui confrontent inégalités sociales et inégalités environnementales sont rares et souvent limitées à un type de pollution [1] et à une zone géographique précise [2]. Difficile donc de généraliser.
La connaissance progresse lentement malgré tout. Pour la première fois, une étude [3] dessine une géographie des communes les plus polluées de France et la rapproche du niveau de vie des habitants. Résultat ? La nuance est de mise : les catégories sociales les plus concernées ne sont pas les mêmes dans les grandes villes, dans les zones industrielles ou dans les régions agricoles. Et les conclusions divergent selon le polluant examiné.
88 % des villes de plus de 50 000 habitants comptent un site (ou plusieurs) qui dépasse les seuils réglementaires en matière de pollution des sols. Les grandes villes englobent presque toutes des sites industriels, anciens ou en activité. Ce constat est valable quel que soit le niveau de vie des habitants, des villes les plus pauvres aux plus riches. L’analyse ne permet pas de savoir quelle proportion du sol est touchée, ni si ces polluants ont contaminé l’eau du robinet ou les légumes cultivés. Elle ne permet pas de zoomer à l’échelle des quartiers pour vérifier dans le détail si ce sont les habitants riches ou pauvres des métropoles qui sont concernés.
Pollution des sols : les communes pauvres plus exposées
Lorsqu’on regarde les villes de moins de 50 000 habitants en revanche, la présence de sols pollués est moins fréquente que dans les grandes villes et elle est nettement différenciée socialement : les communes pauvres sont plus touchées par la pollution des sols que celles où résident les riches. 80 % des villes moyennes [4] situées dans les 10 % les plus pauvres sont ainsi concernées, tandis que deux fois moins de communes moyennes le sont lorsqu’elles se classent parmi les 10 % les plus riches. Et dans les communes les plus petites (de moins de 5 000 habitants), la part de communes aux sols pollués passe de 40 % pour les plus pauvres à moins de 20 % pour les plus aisées. « Le gradient socioéconomique [5] de pollution des sols est marqué », concluent les auteurs de l’étude. Mais là aussi, on raisonne toujours par commune, sur des superficies importantes. Pour saisir l’exposition des habitants à ces polluants, il faudrait pouvoir aussi mesurer ce qui se passe à l’échelle des quartiers.
Source : France Stratégie – Données 2020 pour la pollution, 2018 pour les revenus – © Observatoire des inégalités
Particules fines, surtout dans les grandes villes
Les conclusions sont très différentes lorsque l’on examine les particules fines [6]. Cette pollution cause des cancers, des diabètes, des maladies cardiovasculaires et respiratoires. Principalement causées par la circulation routière, les émissions les plus fortes sont constatées aux deux extrêmes : dans les communes les plus pauvres et dans les plus riches, principalement dans les villes moyennes et grandes. Les métropoles riches sont particulièrement touchées.
Source : France Stratégie – Données 2016 pour les émissions, 2018 pour les revenus – © Observatoire des inégalités
La présence d’ammoniac [7] dans l’air concerne en revanche plus souvent des villes au revenu intermédiaire que les villes les plus pauvres ou les plus riches. Les fortes concentrations sont mesurées dans les régions d’élevage intensif et de forte utilisation d’engrais, telles que la Bretagne et les Pays de la Loire, là où les inégalités sociales sont aussi plus modérées qu’ailleurs en France.
Source : France Stratégie – Données 2016 pour les émissions, 2018 pour les revenus – © Observatoire des inégalités
Zones industrielles : un cumul de pollution… et de chômage
Quelles sont les zones qui cumulent toutes les sources de pollution ou presque ? Les auteurs de l’étude ont construit un indicateur d’exposition multiple qui attribue un point à une commune chaque fois qu’elle fait partie des 20 % les plus touchées du pays pour l’un des cinq critères de qualité de l’air [8], et un point supplémentaire si des sols pollués ont été détectés sur son territoire. La note finale varie donc de zéro pour les communes les moins polluées à six pour celles qui sont affectées par toutes les pollutions considérées.
Les écarts les plus significatifs séparent les petites villes des grandes. Dans les petites communes, l’indicateur de pollution multiple est situé entre un et trois en moyenne. Il monte à quatre environ pour les villes moyennes et s’approche de cinq dans les grandes villes. Neuf métropoles (dont Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg) ont une note de cinq sur l’échelle de six. Elles n’échappent à la plus mauvaise note que grâce à l’absence d’ammoniac agricole.
Pour autant, les habitants des grandes villes ne sont pas les seuls touchés. Sur le millier de communes de plus petite taille qui sont fortement exposées à cinq pollutions, près de 500 sont concentrées dans trois départements : le Nord, le Pas-de-Calais et la Seine-Maritime, des zones fortement marquées par une industrialisation dense et ancienne. Mais aussi par le chômage et la pauvreté.
Au total, des communes très riches et des communes très pauvres sont soumises au cumul de fortes pollutions. Les communes aux revenus moyens sont davantage épargnées. Cette « courbe en U » (voir la courbe orange du graphique) reflète surtout le fait que les zones les plus denses et urbanisées sont soumises à un plus grand nombre de facteurs de pollution que les villes de moins de 5 000 habitants, plus rurales. Le revenu des habitants joue nettement moins que la densité en routes et en usines.
Source : France Stratégie – Données 2020 pour la pollution des sols, 2016 pour les pollutions de l'air, 2018 pour les revenus – © Observatoire des inégalités
Les Français les plus pauvres sont-ils généralement plus exposés à la pollution ? Les plus riches se réservent-ils les lieux les plus protégés ? Ces travaux sont, à notre connaissance, les premiers à tenter de répondre à des questions essentielles en matière d’inégalités environnementales sur le plan national. Ils ont le grand mérite de fournir une évaluation globale et chiffrée. Il faut se garder de toute généralisation hâtive : les plus pauvres ne sont pas dans tous les cas les plus frappés par la pollution. La réponse dépend de la pollution considérée. Les grandes villes et les régions très industrialisées sont les plus touchées par de multiples sources de pollutions graves. Or, elles concentrent aussi les inégalités de revenus les plus fortes car elles abritent à la fois les habitants les plus pauvres et les plus riches.
Il faut considérer ces premières conclusions avec précaution. Tout d’abord, toutes les nuisances environnementales ne sont pas prises en compte. Des polluants chimiques plus rares, non mesurés ici, peuvent avoir un effet important sur la santé des riverains. Le bruit, le fait d’habiter une zone inondable, la présence dans les logements de plomb, de composés organiques volatils ou de moisissures par exemple ne sont pas comptabilisés non plus.
Ensuite, cette étude prend en compte le niveau de vie médian des habitants sur l’ensemble de la commune. Elle ne dit rien des différences qui peuvent exister entre quartiers, écarts parfois énormes dans les grandes villes en fonction de la localisation des routes, des autoroutes, des industries, etc. Le degré de pollution n’est par exemple pas comparable à la Joliette, quartier situé entre le port de Marseille et une autoroute urbaine majeure, et dans le quartier des villas bourgeoises de la Pointe Rouge, de la même commune. Les niveaux de vie des habitants de ces quartiers ne sont pas les mêmes non plus. Pour l’instant, on ne sait pas dire si prendre en compte des territoires plus fins conduirait à modifier les résultats d’ensemble et à établir une liaison entre revenu et pollution. Les travaux qui comparent la pollution de l’air des quartiers de Paris, Lille et Lyon aboutissent à des conclusions différentes selon la ville [9] .
Enfin, établir que l’exposition à de multiples pollutions touche à la fois les plus riches et les plus pauvres, cela ne signifie pas que riches et pauvres sont égaux face à la pollution. Pour une même exposition à la pollution, les uns et les autres ne développent pas les mêmes maladies et ne sont pas soumis au même risque d’en mourir. Les inégalités d’accès aux soins, liées aux revenus ou à la catégorie sociale, font qu’un même degré d’exposition a un impact différent sur la santé.
En outre-mer, pauvreté et pollutions se cumulent |
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Les données de cette étude sont disponibles pour la France métropolitaine et laissent dans l’ombre la situation des territoires d’outre-mer. Les populations ultramarines connaissent de graves difficultés sociales et sont en même temps massivement touchées par des pollutions locales, telles que la chlordécone aux Antilles – un insecticide très toxique, aujourd’hui interdit, mais toujours présent dans le sol et l’eau –, le traitement défaillant des déchets, qui se traduit par la présence de décharges à ciel ouvert notamment, ou telle que la pollution au mercure provoquée par les chercheurs d’or en Guyane. |
Photo / CC BY Ioana Baciu
[1] Voir « Exposition à la pollution atmosphérique en France : quelles inégalités ? », Pascale Champalaune, Paris school of economics, décembre 2020.
[2] Voir par exemple « Neighbourhood Characteristics and Long-term Air Pollution Levels Modify the Association between the Short-Term Nitrogen Dioxide Concetrations and All-cause Mortality in Paris », Séverine Deguen, Plos One, juillet 2015.
[3] Voir « Inégalités environnementales et sociales se superposent-elles ? », Julien Fosse, Camille Salesse et Mathilde Viennot, Note d’analyse n° 112, France Stratégie, septembre 2022.
[4] Dans cette étude, les villes moyennes sont celles qui comptent entre 5 000 et 50 000 habitants.
[5] Gradient socioéconomique : le fait qu’un phénomène soit de plus en plus (ou de moins en moins) constaté au fur et à mesure qu’on progresse dans l’échelle sociale.
[6] Les particules fines sont des poussières en suspension dans l’air. Elles peuvent être d’origine naturelle (éruption volcanique, feux de forêts) mais sont surtout causées par l’activité humaine (chauffage au bois, pollution routière, industrie). Les particules appelées « PM 2.5 » sont celles qui ont un diamètre inférieur à 2,5 millièmes de millimètre. Ce sont les plus toxiques parce qu’elles pénètrent profondément dans les poumons.
[7] L’ammoniac est un gaz dont la présence dans l’air est principalement liée aux déjections des animaux d’élevage et à l’épandage d’engrais sur les cultures. Lorsqu’il est présent en excès, il est toxique pour les humains et pollue l’environnement (algues vertes, étouffement des poissons dans les rivières, pluies acides).
[8] La pollution de l’air est mesurée par la présence de cinq polluants courants : dioxyde de soufre, particules fines PM 10, particules fines PM 2,5, ammoniac et oxydes d’azote.
[9] À Lille, plus un quartier est pauvre, plus son air est pollué au dioxyde d’azote. À Paris et dans la petite couronne, c’est l’inverse : les quartiers très riches sont les plus exposés au bruit et à la pollution de l’air des grands axes haussmanniens et du périphérique. Voir « Exposition aux pollutions et nuisances environnementales en agglomération », Séverine Deguen et al., in L’environnement en France, Commissariat général au développement durable, 2014.
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